Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rochelle, le conjure de puiser dans une philosophie spiritualiste la seule consolation digne de son amour détruit, de se vouer dorénavant à une vie austère et laborieuse, vraiment virile. Il redoute qu’un accès de désespoir ne jette son ami à quelque extrémité.

Par bonheur, avec ces lettres et celles de sa mère, presqu’aussi atteinte que lui, Eugène a pour le soutenir la présence dévouée de Bataillard et de du Mesnil qui le décident à fuir Paris. Il court s’ensevelir à Meudon, puis dans la forêt de Fontainebleau, où il erre, hanté de sombres visions. Ni l’ardeur au travail, ni la magie des jeunes souvenirs ne l’apaisent tout à fait : « J’ai levé deux ou trois fois les yeux vers le ciel bleu, écrit-il le 22 août à Bataillard, et j’ai senti je ne sais quoi d’aigu et de glacé m’entrer dans le cœur comme un coin… » Et, le 28 août, à sa mère : « Je me sens le cœur plus vide et plus délabré que jamais. Tu me comprends, ma mère chérie, tu sais quel endroit de mon cœur est vide. Le reste vous appartient et Dieu sait qu’il est bien rempli ! » Le mal du pays le tourmente. Il se décide enfin à partir pour Saint-Maurice où il arrive au commencement de septembre, étrangement vibrant, avide d’épanchemens et d’émotions.


A Paul Bataillard.


Saint-Maurice, mercredi soir, 11 septembre 1844.

Mon ami,

… Je suis arrivé lundi dernier au soir, criblé de poussière, mais bien heureux de me trouver au terme si désiré de mon pèlerinage. On m’a reçu comme je comptais l’être ; ma mère a été d’une tendresse inexprimable. Je ne puis vous dire quel baume ces affections de famille ont mis sur mes récentes blessures. Depuis le premier et confidentiel entretien, il n’est plus guère question entre nous du sujet commun de nos tristesses. — Je vais assidûment visiter le tombeau de ma pauvre amie ; c’est mon palladium, mon ami. — Vous comprenez à quel point Saint-Maurice m’est cher. Je vous reparlerai longuement de ces douces et pieuses visites. Je vois souvent les enfans[1], je les adore ; je voudrais les avoir toujours auprès de moi.

  1. Les enfants de Madeleine.