Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nationale. La leçon donnée par les anciens hommes d’État de la République, et cette autre leçon que nous apportent, autour de nous, les « impérialismes » grandissans, nous prépareront à mesurer dans sa néfaste ampleur ce que M René Goblet appelle « la crise du patriotisme à l’école. »


I

Paul Bert, rapporteur de notre première loi scolaire, donnait comme épigraphe à ses livres ce simple mot : « Par l’école, pour la patrie. » Attaquant l’enseignement religieux, il croyait lui faire le plus grave des reproches en le dénonçant comme une doctrine d’antipatriotisme : la République, à cette époque, ne confondait pas le sabre et le « goupillon » dans une même réprobation ; et pour rendre impopulaire le « cléricalisme, » Paul Bert le présentait volontiers comme l’ennemi de l’idée nationale. La fonction de soldat, à ses yeux, primait celle même de citoyen : « L’éducation militaire, disait-il textuellement, est plus importante encore que l’éducation civile ; car si de l’éducation civile peut dépendre la fortune et la liberté du pays, de l’éducation militaire peut dépendre son existence et son honneur. » C’est au Trocadéro, sous la présidence de M. Songeon, sénateur radical de la Seine, que Paul Bert tenait ce langage ; et son discours se prolongeait en une sorte d’apothéose du vrai chauvinisme.

« Si vous entendez par chauvin, déclarait-il, celui qui porte dans son cœur le culte de la Patrie ; celui qui est décidé à sacrifier tout pour elle, même sa vie ; celui pour qui l’honneur de sa Patrie est le sien propre ; celui qui pense à ses frères séparés comme l’amputé pense à son pied absent ; celui qui reçoit sur sa joue toutes les injures faites au drapeau, que ce soit loin ou près des frontières ; celui qui ne croit jamais à la défaite irrémédiable alors même qu’il est vaincu, et qui, semblable au Romain assiégé, est tout disposé à acheter le double de ce qu’il vaut le champ sur, lequel campe l’armée d’Annibal vainqueur, — si c’est celui-là que vous appelez chauvin, oui, ce patriote sincère, l’éducation civique vous le fera.

« Et comment cela ? En n’ayant dans l’éducation qu’une seule pensée ; en faisant tout converger vers ce but suprême de la préparation du citoyen armé ; en mettant toujours sous les yeux de l’enfant l’image de la Patrie, en la lui faisant aimer, et aimer