Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réussi à obtenir la rétrocession en Lorraine de 5 communes de 2 265 habitans et de 5 195 habitans[1].

L’infatigable persévérance de M. Thiers à poursuivre la restitution à la France d’une zone autour de Belfort en rapport avec la portée stratégique qu’il assignait à la place, les paroles par lesquelles il s’est efforcé de faire partager ses vues et ses espérances, et le rare sens militaire qui les inspirait, qui les illuminait en quelque sorte, n’ont pas trouvé grâce devant tous ceux qui l’ont jugé. Le colonel Laussedat, entre autres, le prend à partie avec une extrême vivacité. La politique de M. Thiers a rencontré et rencontrera encore des contradicteurs, mais, ici, elle n’est point en cause : il ne s’agit que de la défense nationale.

Reprocher à M. Thiers, comme le fait le colonel, de s’être laissé dominer par l’idée qu’il fallait, avant tout, s’occuper de Belfort ; traiter de malencontreuse et de déplorable son intervention à la tribune, le jour où l’Assemblée nationale appelée à ratifier le traité de Francfort devait décider du sort de la frontière de l’Est ; conseiller au lecteur de méditer le discours qu’il prononça dans cette circonstance, pour y apprendre comment « avec une langue bien pendue et un front d’airain, » on parvient à « retourner une assemblée ; » taxer de fausseté ou représenter comme des « énormités » certaines de ses allégations ; enfin, le qualifier ironiquement de « grand géographe militaire, » à propos de certaines trouées ouvertes dans les Vosges par le tracé allemand de la frontière, trouées soi-disant aussi importantes que celle de Belfort et dont il aurait méconnu le danger pour nous, c’est vraiment dépasser un peu les bornes de la critique équitable et modérée que commande, en dehors de la personnalité de M. Thiers, la gravité du sujet.

Malgré les dispositions du traité de Francfort et de l’article additionnel qui stipulaient le retour de Belfort à la France, M. Thiers ne se sentit pas encore rassuré sur le sort de la place. Il était persuadé que M. de Bismarck regrettait de l’avoir laissé échapper, et se tiendrait prêt à profiter du moindre incident pour la ressaisir. Les Notes et Souvenirs mettent en lumière, d’une manière saisissante, le prix qu’il attachait à l’exécution du traité sur ce point, et ses patriotiques efforts pour déjouer les calculs et éviter les pièges qui pouvaient lui faire perdre ce qu’il

  1. Ces chiffres sont empruntés à l’ouvrage du colonel Laussedat.