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l’échange contre lequel il s’est élevé avec tant de force en 1871 et depuis, le colonel Laussedat ne s’est-il pas proposé surtout de réfuter certaines assertions de M. Thiers à la tribune de l’Assemblée nationale lors des débats engagés sur le traité de paix ? Il n’a pas manqué de relever les passages suivans du discours prononcé le 18 mai par le chef du pouvoir exécutif : « Les belles créations de M. de Wendel ont transporté toute l’industrie française du fer dans l’Est ; cela n’est pas naturel et ne saurait se perpétuer. La prospérité de cette industrie avait donc été très exagérée ; néanmoins, les Allemands ont voulu en avoir une part, on la leur a cédée. Du fer, il y en a partout en France d’aussi bon qu’en Suède, et la prospérité de l’industrie métallurgique dans l’Est est une pure illusion qui ne durera pas éternellement. »

Si M. Thiers s’était laissé aller à reconnaître, fût-ce même avec des atténuations et des réserves, l’intérêt matériel attaché à la possession du bassin minier dont Aumetz est le centre, la cause de Belfort, dans ce qu’elle avait d’essentiel, était définitivement perdue ; or, à ses yeux, nous l’avons dit, l’importance de cette place et d’une large zone environnante dépassait de beaucoup celle des gisemens de minerai, si riches qu’on les lui eût dépeints. Aussi, ne faut-il pas prendre trop à la lettre les considérations d’ordre économique auxquelles il se livra dans le dessein d’enlever le vote du traité de paix. Alors même que nous admettrions que M. Thiers ait cru sincèrement au peu d’avenir de l’industrie métallurgique de l’Est, et par conséquent qu’il se soit trompé sous ce rapport, nous n’en conclurions pas qu’il ait eu tort de préférer Belfort avec un rayon d’action militaire sérieux, à des champs de minerai.

En résumé, M. Thiers, dominé par la question militaire dont la solution s’offrait à lui sous une forme précise lui permettant d’en mesurer les conséquences avec certitude, a paru ne pas tenir compte de la question économique, tandis que le colonel Laussedat s’est montré prêt à sacrifier la première sans être assuré qu’il résoudrait la seconde selon ses vues. Grâce à M. Thiers, dont l’Assemblée nationale adopta la manière devoir, nous possédons Belfort avec un rayon proportionné à l’importance de son rôle stratégique ; quant aux graves mécomptes économiques que redoutait le colonel Laussedat si l’on abandonnait à l’Allemagne la plus grande partie du bassin d’Aumetz, non seulement ils ne se sont pas réalisés, mais des circonstances