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discuterons plus loin la question de savoir si les Allemands font cas ou non de Belfort au point de vue militaire. Examinons d’abord les autres argumens invoqués contre l’échange.

M. Thiers avait réussi, une fois, sur un point capital, à triompher de la résistance de M. de Bismarck, en laissant entrevoir, dans un accès de patriotique désespoir, la possibilité de la reprise des hostilités dans le cas où il n’aurait pas satisfaction ; mais il n’avait aucune envie de renouveler une pareille scène, et eût-il essayé de le faire, qu’il aurait abouti à un échec. En se montrant disposé à accueillir les propositions de rectification de la frontière tendant à accroître la sphère d’action de-Belfort, le chancelier cherchait à réduire à sa plus simple expression la concession qu’il avait consentie ; dans l’impossibilité de revenir sur sa décision sans remettre en cause les résultats des négociations antérieures, et sans créer de nouvelles complications de nature à retarder la conclusion de la paix, il s’efforçait du moins de conjurer le plus possible les conséquences de la restitution qui lui avait été arrachée. Il était dans son rôle, mais songeait moins à ruser qu’à faire sentir qu’il était le plus fort.

De son côté, M. Thiers, persuadé qu’il ne gagnerait rien à brusquer M. de Bismarck, protestait, avec une grande dignité, de ses dispositions conciliantes ; il écrivait le 3 mai au général de Fabrice, commandant les troupes allemandes d’occupation : « Lorsque, avec une douleur profonde, j’ai signé le traité des Préliminaires, j’avais pris résolument mon parti, et j’avais reconnu qu’au point où en étaient les choses, la paix valait mieux pour la France que la continuation d’une guerre déplorablement résolue, et tout aussi déplorablement conduite. Or, lorsque ce parti, si cruel pour moi, a été pris, et pris par pur dévouement à mon pays, car j’étais de tous les Français le moins obligé à m’en imposer la douleur, je n’étais pas homme à vouloir, par une inconséquence inconcevable, retomber dans la guerre. Je n’ai songé qu’à deux choses : à rendre définitive la paix avec l’Allemagne, et à terminer la guerre civile. »

Parmi les argumens dont s’est servi le colonel Laussedat pour condamner auprès des négociateurs l’échange de territoires, celui qui concerne les populations lorraines auxquelles les Préliminaires avaient laissé la nationalité française, et dont cet échange les privait après coup, appelle quelques observations. Que les exigences des négociateurs français aient ou non amené la