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discuter tout d’abord les questions de principe qu’elles soulèvent.

Constatons en premier lieu que les commissaires français, à Bruxelles, ne furent pas favorables à cet échange. Le colonel Laussedat en donne les raisons suivantes que nous résumerons ainsi : les Allemands n’attachent aucune importance au plus ou moins d’étendue de la zone française entourant Belfort ; leur tactique consiste à exagérer la valeur des concessions qu’ils nous font, sans les regretter, pour obtenir les terrains miniers voisins de Longwy ; la cession de ces terrains ruinera d’une manière immédiate l’industrie métallurgique dans la Moselle et les Ardennes ; en n’acceptant pas l’échange, on amènera les Allemands à nous rétrocéder, sans exiger de compensation, ce qu’ils refusent de nous donner sans en recevoir une de nous ; l’excédent de la superficie offerte du côté de Belfort sur celle qui est demandée en Lorraine n’est pas à considérer, si l’on tient compte de la valeur des terrains miniers que nous abandonnerions ; bien que le nombre des habitans enlevés à la France soit moindre que celui qu’on lui rend, on ne peut oublier que les premiers ont le droit de protester contre un acte qui les prive de la nationalité que les Préliminaires leur ont garantie, et, d’ailleurs, il n’est pas admissible qu’on les échange « comme on ferait du bétail ; » en nous fermant la frontière du Luxembourg, on porte atteinte à nos rapports commerciaux et industriels avec cet État, et, en outre, on affaiblit notre action militaire de ce côté[1] ; le rôle militaire de Belfort à l’avenir sera sensiblement amoindri ; un rayon de 7 kilomètres serait à la rigueur, suffisant ; il est préférable de s’en contenter que de céder quoi que ce soit de ce que les Allemands demandent en Lorraine.

Prétendre qu’il n’en coûtait pas à M. de Bismarck d’élargir le rayon autour de Belfort, qu’il lui importait seulement de laisser croire le contraire afin d’arriver plus facilement à satisfaire ses convoitises du côté de la Lorraine, et en conclure qu’il nous suffirait de lui tenir tête pour obtenir cet élargissement sans être obligé de fournir une compensation, c’est raisonner sans tenir compte de l’état d’esprit des vainqueurs et des vaincus, c’est méconnaître l’importance de Belfort, c’est enfin oublier que le chancelier était l’arbitre souverain des négociations. Nous

  1. Cet argument perdit une partie de sa valeur, quand M. de Bismarck consentit à faire une rectification de tracé qui nous laissait huit kilomètres de frontière commune avec le Grand-Duché.