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travaux excessifs ; » voilà l’exploitation du travailleur condamnée, avec le sweating System ; « je n’ai pas accusé l’esclave auprès de son maître ; » voilà la délation condamnée, même à l’égard d’une caste jugée alors inférieure : ces Orientaux étaient-ils donc plus délicats que certains grands dignitaires ? « Je n’ai fait pleurer personne ; je n’ai pas affamé ; je n’ai pas tué, je n’ai pas dépouillé les morts de leurs bandelettes ; je n’ai pas altéré la mesure des grains ; je n’ai pas enlevé le lait de la bouche des nourrissons ; je n’ai pas chassé les bestiaux sacrés sur leurs herbages ; je n’ai pas capté l’eau sur son passage : je suis pur. » Saisissez-vous l’étonnante « évolution » de la morale ? Ne faire pleurer personne ! ne pas affamer ! ne pas tuer ! ne pas dénoncer ! ne pas mentir !… Il y a, il est vrai, les bestiaux sacrés, qui indiquent des croyances religieuses aujourd’hui disparues. Et c’est pourquoi on veut nous persuader que le fond même de la conscience est en perpétuel devenir. Mais les idées religieuses, quelque influence qu’elles exercent, ne sont pas la moralité même, l’intention de bien faire et de faire du bien aux autres. On s’extasie devant la variabilité de la morale ; pour moi, je trouve que c’est toujours la même chose, je veux dire le même sentiment fondamental ; seules les applications changent avec « le progrès des lumières. » Il est clair que, les animaux ayant perdu le caractère sacré qu’on leur attribuait jadis, le meurtre d’un chat ne saurait être jugé en France comme dans l’ancienne Égypte ; mais c’est précisément en vertu du même principe. Pareillement, nos sociologues ont beau jeu, comme M. Durkheim, à étudier « l’inceste » et à nous montrer combien les idées ont varié à ce sujet. Dans les rapports des sexes, il y a certainement une foule de prescriptions qui tiennent à un développement familial ou social en tel ou tel sens, à telles idées religieuses, à telles croyances relatives à l’intérêt social, à telles coutumes, à telles mœurs, etc. Mais, pour passer à un ordre d’idées voisin, que, dans notre société actuelle, un homme séduise une fille pauvre, la rende mère, puis l’abandonne sans le moindre souci d’un enfant qu’il sait ne pouvoir être que le sien, d’une femme qu’il sait n’avoir appartenu qu’à lui ; aura-t-on encore besoin d’invoquer la sociologie et l’histoire des institutions matrimoniales pour saisir en cet acte une irrationalité intrinsèque, une injustice immanente, consistant à nier et à rejeter lâchement les conséquences naturelles de ce qui est précisément un fait ? — Vous répondrez de