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siècles ; on ne considère pas la logique comme une « donnée de fait » qui n’aurait besoin ni d’être fondée, ni d’être justifiée, et qui ne pourrait être « une science à la fois théorique et normative. » En revanche, dès qu’il s’agit de morale, les positivistes de l’école sociologique ne veulent plus admettre que les intelligences humaines aient été capables des raisonnemens les plus simples, les plus propres à justifier immédiatement certains modes de conduite : ils croient qu’il faut en tout faire appel, comme Jeannot Lapin, à la coutume et à l’usage.

Que de fois on a cité, pour prouver la relativité et la variabilité de toute morale, ce fait que, chez les Égyptiens, le meurtre d’un chat était un crime ! Les actions réputées jadis les plus criminelles, — sacrilèges, profanations, incrédulité religieuse, etc., — ne sont même plus aujourd’hui des délits. — Mais toutes ces prétendues preuves de variabilité sont des preuves d’invariabilité. En effet, le principe d’appréciation d’où part la conscience est toujours identique ; c’est toujours la même majeure de raisonnement : l’individu doit être dévoué à la communauté ; or, — c’est ici que les mineures changent selon les croyances du temps, — le meurtre d’un animal sacré attire la colère céleste sur toute la communauté ; la profanation des objets du culte d’Osiris attire la ruine de la cité ; l’incrédulité religieuse d’Alcibiade ou de ses pareils tend à dissoudre, avec la morale, le lien social et à compromettre la vitalité de la nation athénienne ; donc, etc.

Je lisais récemment, dans une revue pédagogique, des pages intéressantes où l’on se plaignait de ce que nos instituteurs n’insistent pas assez, dans les écoles, sur la variabilité des idées morales, ne donnent pas assez aux enfans le sens du relatif. Ainsi on trouve notre morale trop assise, trop ferme, trop rigide ! Et pour montrer à quel point les notions du bien et du mal ont changé depuis les temps anciens, on cite l’un des plus vieux monumens de la morale égyptienne, ce fameux Livre des morts où, prête à comparaître devant Osiris, au seuil de l’Amenta, une âme séparée du corps fait sa propre confession. Écoutons donc ces paroles qui, dit-on, vont nous faire mesurer l’infinie distance entre la vieille morale et la nouvelle. « Je n’ai commis aucune faute : je n’ai pas tourmenté la veuve ; je n’ai jamais menti au tribunal ; » voilà les exactions et le parjure condamnés ; « je n’ai pas forcé le travailleur à faire chaque jour des