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exagérer l’importance, et qui valait bien le sacrifice de quelques milliards et de la moitié de Sakhaline. Si le gouvernement l’a cru à Tokio, il a fait preuve de prévoyance et de sagesse. Les journaux qui cherchent volontiers des analogies et des leçons dans l’histoire contemporaine ont rappelé la modération de Bismarck lorsque, après Sadowa, il a eu soin de ne pas démembrer l’Autriche et de n’en rien exiger qui rendît plus tard un rapprochement impossible avec elle. Son attitude à l’égard de la France n’a pas été la même en 1871 : aussi aurait-on pu rappeler les précautions qu’il a dû prendre pour consolider son œuvre au moyen d’une longue paix. La triple alliance, à travers les transformations qu’elle a subies, n’a pas eu d’autre objet que de rendre la paix nécessaire en rendant la guerre trop dangereuse et en décourageant les plus hardis de s’y risquer. Le Japon, dans les deux traités qu’il vient de conclure et qui se complètent aussi bien qu’ils s’expliquent l’un par l’autre, a réalisé ce double objet : il s’est assuré le maintien de la paix en se montrant modéré dans le présent, et lui a donné la garantie d’une grande alliance dans l’avenir.

Quant à la Russie, à qui tant de liens nous rattachent et dont le prompt relèvement nous tient si fort à cœur, elle n’a pas moins à attendre d’une paix prolongée. Il lui faudra plusieurs années pour réparer les maux de la guerre, opérer sa régénération politique et morale et réaliser les réformes dont l’Empereur a pris sérieusement, quoi qu’on en ait dit, l’initiative. Les intérêts qui lui restent à affermir et à développer en Extrême-Orient sont considérables, puisqu’elle conserve la grande ligne de son chemin de fer jusqu’à Wladivostok : elle a des terres immenses et un débouché sur la mer. Mais sa transformation intérieure est la première œuvre à laquelle elle doit se consacrer. Nous souhaitons par-dessus tout qu’elle reprenne en Occident la place qui lui appartient et dont elle s’est détournée pendant dix-huit mois, non sans dommage pour la communauté européenne.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.