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seul adversaire, tandis que, dans le premier traité, il en fallait deux pour qu’elle fût obligée d’intervenir ; l’autre est que la garantie mutuelle que les deux puissances se donnent pour le maintien de leurs possessions territoriales comprend l’Inde pour l’Angleterre et la Corée pour le Japon. Il est vrai que, en ce qui concerne la Corée, il ne s’agit que d’un protectorat ; mais ce protectorat, qui s’étend sur le gouvernement et sur l’armée, ressemble beaucoup à une prise de possession et à une absorption complète. Les deux puissances se préoccupent également du développement et de la défense commune de leurs intérêts économiques. Toutefois, le principe de l’égalité de toutes les puissances en matière industrielle et commerciale est maintenu dans les nouveaux territoires qui tombent directement ou indirectement sous la main du Japon.

Il est difficile de faire une alliance plus complète. L’Angleterre et le Japon paraissent avoir été frappés de deux faits d’ailleurs très appareils, à savoir que la première possède la plus forte flotte du monde et le second la plus forte armée de l’Asie. L’union de ces deux élémens militaires doit constituer la puissance la plus formidable qui puisse entrer en action en Extrême-Orient et dans l’Inde, et on ne voit pas quelle autre serait en mesure de se mettre en travers. Au surplus, aucune ne saurait en avoir la moindre velléité. Si l’alliance anglo-japonaise est faite en vue de la Russie, celle-ci est fort peu disposée aujourd’hui, après les épreuves qu’elle a traversées et dont elle n’est pas encore sortie, à se lancer dans des aventures nouvelles : on peut donc dire que la précaution n’était pas d’une utilité bien urgente. En dehors de la Russie, on cherche en vain quelle puissance pourrait chercher un conflit avec le Japon. Ce n’est pas la France assurément ; ce n’est pas non plus l’Allemagne, malgré la dénonciation du péril jaune qu’a faite si bruyamment, il y a quelques années, l’empereur Guillaume ; ce n’est pas non plus l’Amérique, qui a toujours témoigné de bons sentimens au Japon et ne demande qu’à bien vivre avec lui ; et alors ce n’est personne, car il n’y a pas d’autres puissances qui aient des intérêts territoriaux en Asie. L’alliance anglo-japonaise est donc une alliance de tout repos : elle ne serait inquiétante que si elle était non seulement défensive, mais offensive. Mais, quoique les premières nouvelles données par les journaux aient laissé à ce point de vue son caractère incertain, il n’est pas croyable que l’Angleterre ait mis sa politique à la discrétion d’autrui. Sans connaître le texte du traité, nous sommes convaincus que le casus fœderis ne se poserait que si une des deux puissances était l’objet d’une agression qu’elle n’aurait