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vers de Malherbe, de Corneille et de Racine semblent écrits d’hier. Quoi qu’il en soit, le volume de M. Dreyfus-Brisac, qui était un assez modeste volume, contribuait à cette œuvre de « réhabilitation. Et il n’était pas mal à propos d’insinuer que, si nous ne lisons plus guère Ronsard dans son propre texte, un peu de son invention poétique est arrivé jusqu’à nous par ce que ses successeurs ont retenu de lui. Comme c’est l’habitude, et pour forcer l’attention, l’auteur des Classiques imitateurs avait outré l’idée jusqu’au paradoxe et le paradoxe jusqu’à la gageure. Cela fît sourire quelques lettrés. Ces « cuistres, » comme dit M. Dreyfus-Brisac, lui firent compliment de son ingéniosité. Ce fut sa perte.

Il recommença. Un second volume, lourd de ses trois cent soixante pages, fut jeté à la tête de ceux qui conservent pour Nicolas un peu de ce respect qu’affichait Voltaire. Si d’ailleurs ces attardés se plaisent encore dans la compagnie de Boileau, c’est pour une raison un peu inattendue, quoique honorable pour leurs mœurs : « A défaut d’autres maîtresses quelquefois, nos maîtres se pâment devant les charmes de Boileau, et leur adoration aveugle prête à la laideur même un air de beauté. » C’est à nous dessiller les yeux et à nous désenchanter que devait servir ce livre : Un faux classique, Nicolas Boileau. Il y est parlé sans superstition du régent du Parnasse. Roi des plagiaires, c’est lui qui, sans scrupule, prend à l’un l’idée, à l’autre l’épithète, s’approvisionne de métaphores chez Ronsard, de périodes chez Balzac, de tours et de mots chez tout le monde ; il reste bouche bée et trébuche, s’il n’a pour se soutenir Moïse ou la Pucelle, et, s’il n’est animé du souffle de Brébeuf,


Sa cervelle en travail ne saurait pondre un œuf.


Ses rimes sont aussi pauvres que son vocabulaire. Son Ode à Namur est ridicule. Dans son Art poétique, « ce qu’on peut noter de mieux, ce sont quelques passages où les satiriques anciens sont assez bien caractérisés, les deux vers sur Perse, par exemple. Et encore… » Le Lutrin est son meilleur ouvrage, et il est fait de morceaux d’emprunt et de pièces rapportées. L’influence de Boileau ? Elle a été déplorable, quand elle n’a pas été nulle : « A quoi ont abouti les préceptes vagues et généraux, les lieux communs de son Art poétique ? Le théâtre de Crébillon et de Voltaire vaut-il celui de Corneille ?… Le vrai produit de Boileau c’est Delille, qui, comme poète, lui est à peine inférieur, et qui avait plus d’esprit. » Une fois qu’on a réduit en poussière l’œuvre de Boileau, et fait toucher terre au satirique, au critique et au poète, le meilleur de la