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Cela veut dire qu’entre le premier vers qui est de Corneille, et le second qui est de Ronsard, M. Dreyfus-Brisac aperçoit une analogie, que, pour notre part, nous avouons ne pas distinguer très bien.

RA. — Parmi ces loups cruels prêts à me dévorer.
Ro. — Pour ce doit être en pâture des loups.

(Ra désigne Racine.) Et ainsi de suite… On chemine parmi ces Ma, ces Ra, ces Ro, ces Co, tous infortunés qui n’ont pas pu se défendre, et dont on a donc tronqué les membres, découpé les phrases et déchiqueté les vers, pour en composer une sorte d’habit d’Arlequin. Les jeux de patience ont de coutume leur objet en eux-mêmes : leurs complications les plus saugrenues liront leur raison d’être de la nécessité de faire durer le plaisir et d’aider à tuer le temps. Le petit casse-tête imaginé par M. Dreyfus-Brisac n’est pas de ces vains amusemens. Il rentre dans la catégorie des jeux instructifs. Il tend à prouver que Ma, Co, Ra, et quelques autres, sont tributaires de Ro, c’est-à-tire que la poésie du XVIIe siècle était tout entière contenue dans celle du XVIe. Conclusion : il est temps de dépouiller de leurs lauriers les Malherbe, les Corneille et les Racine pour en couvrir le seul Ronsard.

Le malheur pour M. Dreyfus-Brisac, ç’a été que son premier livre, Les classiques imitateurs de Ronsard, ne fût pas tout à fait détestable. Il y lançait une nouveauté vieille d’une soixantaine d’années, mais qui, en vieillissant, n’avait pas perdu tout son attrait, et l’idée qu’il y avançait, en traînant partout, avait fait ses preuves d’être d’un bon usage : c’est que les écrivains du XVIIe siècle ont été à l’endroit de Ronsard d’une sévérité excessive, et qu’ils auraient dû traiter avec moins de mépris un poète dont ils se sont plus d’une fois souvenus. Rien n’est plus exact. Et depuis que Sainte-Beuve, en quête d’un ancêtre pour ses amis romantiques, s’est avisé de « réhabiliter » Ronsard, la critique n’a cessé d’étudier, afin de le remettre à son plan, celui en qui nul ne conteste plus qu’il ne faille saluer un de nos plus grands poètes. Par degrés, on s’est enhardi, et après ne lui avoir accordé que la supériorité dans les genres secondaires, les mérites de grâce et de naïveté, on lui a reconnu la puissance et l’éclat de l’imagination. On ne s’est plus contenté de savoir par cœur quelques-uns de ses sonnets, on s’est épris de ses Odes, voire de ses Discours, et tout y a passé, jusqu’à la Franciade. À vrai dire, il est plus facile de gagner à Ronsard des admirateurs que des lecteurs, et après qu’on a convenablement loué son génie, qui est de premier ordre, il reste à expliquer pourquoi son œuvre nous est devenue si lointaine, tandis que les