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REVUE LITTÉRAIRE

LES « PLAGIATS » DES CLASSIQUES

On avait cru jusqu’à nos jours que Boileau était l’auteur de l’Art poétique et La Rochefoucauld celui des Maximes, que Racine avait fait ses tragédies et Bossuet ses oraisons funèbres. C’est une erreur. Comme dans les musées d’où l’on voit, de temps en temps, disparaître certaines fausses attributions, il va falloir substituer d’autres noms à ces noms indûment décorés d’une gloire séculaire. Où nous lisions Boileau, Racine et Bossuet, il faudra lire désormais, non seulement Ronsard et Baïf, mais Chapelain, Scudéry, Voiture et Brébeuf : tels sont les véritables auteurs d’ouvrages qui, par suite d’une longue méprise, sont parvenus jusqu’à nous avec une signature usurpée. La vérité enfin se fait jour, et il apparaît que les auteurs du fameux siècle de Louis XIV furent d’éhontés plagiaires. Incapables de tirer de leur cru ni une idée, ni une phrase, ni une rime, ils passaient leur temps à piller leurs prédécesseurs ; après quoi, ils s’empressaient de les vilipender, afin d’ôter aux gens l’envie de les lire, ce qui eût fait découvrir la supercherie. Ils mettaient toute leur habileté à dissimuler leurs larcins, car on ne peut leur dénier, dans cette mesure et à ce titre, une sorte d’habileté. Ils avaient, pour démarquer leurs emprunts, un art auquel un esprit impartial doit rendre hommage ; toujours sur le qui-vive et possédés par la peur du gendarme littéraire, ils apportaient tout leur soin à ne pas se laisser prendre la main dans le sac. Ils surent d’ailleurs mettre le pouvoir dans leurs intérêts. Soutenus par le gouvernement, ils s’imposèrent à leurs contemporains. Dès lors, maîtres d’une situation confortable et solidement établie, ils n’eurent plus qu’à en jouir paisiblement ; on sait de reste