Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là d’agrestes moissons sous vos pas sont écloses,
Et, guidant la charrue héréditaire, là,
Où votre destinée infime s’écoula,
Vous avez mis votre humble empreinte aux moindres choses.

Là, comme un Océan d’heure en heure grossi,
Dont s’enfle en râles sourds l’immense mélopée,
A grandi votre race aux durs labeurs trempée,
Et vous avez souffert pour moi qui souffre aussi.

Là vous avez pleuré peut-être, et j’imagine
Vos détresses, vos deuils, vos effrois angoissans
Et si parfois je courbe un genou, je me sens
Plus près de vos douleurs et de mon origine.

Pères que je n’ai pas connus, aïeux aimés,
Je vous évoque au fond de ce doux paysage,
Et je baise attendri, comme on baise un visage,
La terre par vos soins féconde où vous dormez.

Et, rien ne devant plus désormais me proscrire
Vers les villes, je vois, sur elle me penchant,
Comme transfigurée aux lueurs du couchant,
Sa face maternelle ébaucher un sourire.

Ce pieux souvenir, pères, vous était dû,
Car c’est votre poussière inerte que je foule
Quand, fuyant le tumulte et dédaignant la foule
J’erre, dans l’ombre et la solitude perdu ;

Quand, jetant ma pensée altière au vent qui passe.
J’écoute avec le jour s’éteindre les rumeurs,
Jusqu’à ce que, là-haut, les nocturnes semeurs
Aient d’étoiles sans nombre ensemencé l’espace.


LEONCE DEPONT.