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L’OASIS


Un pli secret des monts forme la combe étroite
Où, rapide comme un torrent fougueux, miroité
La rivière qui fuit murmurante à travers
Les vignes, les enclos et les pacages verts.
Des chaumières dans l’herbe éparses sont vêtues
De pampres. Des rochers droits comme des statues
Nuancent de tons gris les cimes. Par milliers
Les oiseaux frappent l’air de leurs chants familiers.
Une sérénité suave émane. Il règne
Un calme dont la tiède atmosphère s’imprègne,
Et, délicatement velouté d’ombre et d’or,
Le paysage rêve en son humble décor.
Le pâtre et le troupeau sont paisibles. Pareilles
A nos désirs humains, de légères abeilles
Se posent sur les fleurs, mais ne s’y fixent pas ;
Tandis qu’éblouissant les yeux, scandant les pas,
Parle la source claire à ses nymphes cachées,
Et que sur les essaims comme sur les nichées,
Sur toute la fraîcheur du vallon radieux
Veille immortellement l’âme agreste des Dieux.


LE FOIRAIL


Loin de la tiède étable et du soc familier,
Dès l’aurore, on les a conduits vers cette foule
Dont le bruit gronde et s’enfle et court tel qu’une houle,
Et leurs fronts sous un poids trop lourd semblent plier

Dans l’hostile tumulte et l’ivresse grossière
Que domine parfois un appel véhément,
Les bœufs courbent la tête et, pleins d’étonnement,
S’entassent pêle-mêle, aveuglés de poussière.

Néanmoins patiens et doux comme au labour,
Résignés à leur sort, la corne pacifique,
Sans haine pour celui qui de leur chair trafique,
Ils attendent, pensifs, tant que dure le jour.