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instituteurs se prélassent dans le pacifisme comme dans une tour d’ivoire, inaccessible à la foule militariste des Français. Jusqu’à M. Payot, leur fatuité n’avait que des raisons politiques ; elle en a, désormais, de philosophiques. M. Payot, en les rendant pacifistes, les a élevés dans l’échelle des hommes. Mais la France, elle, à l’école de ces « surhommes » primaires, que deviendra-t-elle dans l’échelle des nations ?

La patrie, pour M. Payot, est surtout un capital d’idées : l’idéal patriotique, c’est « le droit d’être un homme libre, de garder intacte la dignité de citoyen, de ne prélever sur le travail que l’impôt consenti. » Voilà, pour lui, le genre de patriotisme qui convient à la France moderne. Les nations voisines en cultivent un autre, fondé surtout sur « l’orgueil national, sur des idées d’extension territoriale, sur un sentiment de grandeur matérielle contestable et précaire, » patriotisme vulgaire, qui n’est que la survivance d’une certaine sauvagerie primitive, le misérable legs d’hérédités ancestrales, brutales, violentes, sanguinaires. En enseignant ce patriotisme traditionnel auquel tous les peuples autour de nous semblent avoir voué un culte routinier, l’école ferait rétrograder l’enfant vers la brute ; nous devons au contraire entreprendre l’éducation de l’esprit de justice en Europe. A la période dans laquelle la France était l’émule militaire et la concurrente des autres peuples, M. Payot fait succéder une autre période, durant laquelle nous leur donnerons de platoniques leçons, qu’ils accueilleront ou dont ils riront.

Autour de nous, les nations veulent être grandes ; elles estiment que renoncer à grandir, c’est se condamner à une diminution ; elles courtisent l’ambition comme un gage de vie intense ; elles sentent que la gloire appelle la richesse et que la richesse a besoin de la gloire, que le drapeau attire le comptoir et que le comptoir requiert le drapeau ; que « le fer appelle l’or, » comme l’a si bien dit M. Georges Leygues en une phrase que nos journaux pédagogiques ne lui pardonnent point. C’est partout une poussée d’orgueils nationaux se disputant la propriété de l’univers. En face de ce phénomène, les écoles primaires telles que les souhaite M. Payot ne prépareront point la nation française à tenir son rang parmi les peuples qui s’étendent : c’est là une gloire mesquine, dont nos pacifistes n’ont cure. La France, à mesure que ces peuples l’enserreront ou l’évinceront, s’occupera de leur professer un cours abstrait de justice supérieure ; dans