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allemand n’était pas si féroce, et que Guillaume il aurait grande envie de fumer, dans les jardins de l’Elysée, une bonne pipe en compagnie de M. Loubet. » Ainsi tranchans et confians en matière de politique internationale, les plus bruyans d’entre nos instituteurs se laissaient griser par la philanthropique conviction qu’à bref délai, l’arbitrage universel préviendrait toute explosion d’hostilités ; et, plus généreux pour les autres nations qu’ils n’étaient prévoyans pour la leur, ils préparaient avec quiétude, si l’on peut ainsi dire, le désarmement moral de la France, avant que les politiques, responsables des destinées nationales, n’eussent accueilli ni même envisagé la possibilité d’un autre désarmement.


II

Un philosophe d’ailleurs s’est rencontré, pour donner à leur pacifisme une contenance décente et des formules d’apparence profonde : c’est M. Payot, directeur du Volume, et recteur actuel de Chambéry. Les idées semées par ce moraliste sont devenues en quelques années, de l’école normale à l’école primaire, les arbitres d’un grand nombre de vies intellectuelles et morales. Le curieux débat sur « l’âme de l’école, » ouvert en 1894 par M. Buisson, n’avait abouti à aucunes conclusions précises ; M. Buisson, quittant la direction de l’enseignement primaire, laissait l’école sans âme… Les plus optimistes se consolaient en constatant, comme M. Devinat l’expliquait un jour très franchement, que « le sentiment patriotique suppléait à la pauvreté de l’inspiration morale ; » l’ancien idéal déposé dans l’école par Paul Bert continuait d’être une source de vie. M. Payot a fait miroiter un autre idéal, plus ambitieux, plus lointain, plus humanitaire.

Dans ses Conseils aux instituteurs, en 1898, les pages sur le patriotisme étaient encore passables. La publication de son Cours de morale et des Idées de M. Bourru marque, au contraire, une atteinte sérieuse et peut-être durable à l’intégrité du sentiment patriotique, tel qu’on l’avait longtemps cultivé dans notre régime scolaire. Si ces livres étaient destinés à un cénacle de philosophes, le talent dont ils témoignent assurerait à M. Payot une place d’élite parmi les belles âmes rêveuses qui s’efforcent d’anticiper sur un lointain avenir. Mais c’est à travers les écoles