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prisons que n’en peut savoir un magistrat. — Le voilà donc avec une occupation pratique ; celle de prendre mentalement des notes qui serviront plus tard. La conduite de lord N… fut au reste si parfaitement irréprochable qu’il y gagna de voir sa peine réduite de cinq ans à trois ans et neuf mois ; mais ce temps lui suffit amplement pour rassembler les matériaux d’un livre. C’est le plus précieux recueil de références pour les philanthropes qui s’occupent assidûment depuis quelques années d’améliorer le système des prisons ; et il a pour nous un intérêt particulier, celui de la révélation involontaire d’un caractère que l’énergie élève au-dessus de lui-même, cette énergie n’ayant été entamée ni par les désordres et les fautes du passé, ni par la peine infamante qui en fut la suite. Voilà un homme habitué au luxe et aux plaisirs d’une existence privilégiée ; il ne se plaint jamais de rien tout en publiant, quitte à donner plus de retentissement à sa propre disgrâce, ce qui peut appeler l’attention des réformateurs sur le sort de ses compagnons d’infortune.

A l’en croire, une prison est un peu le diminutif du monde : quelques vaillantes natures, un flot d’ignoble écume et, entre les deux, beaucoup de faibles et d’égarés qu’on ne peut appeler réellement mauvais. Et ce sont toujours les pires qui récriminent, qui se plaignent, ceux pour qui sont faites les condamnations au pain et à l’eau, les verges et au besoin le terrible martinet « laissant des cicatrices au corps et à l’âme, » tout cela nécessaire, paraît-il, contre de certains monstres à face humaine. Lord N… par le d’ailleurs assez légèrement des châtimens corporels ; l’habitude de recevoir- des coups de canne à l’école en guise de punition diminue leur ignominie aux yeux les Anglais qui partout respectent l’autorité. Ni aigreur, ni rancune dans les portraits des gouverneurs et des officiers de différens grades auxquels eut affaire ce condamné d’espèce toute spéciale ; on les sent justes et ressemblans. Le travail sédentaire lui a certainement coûté, mais tout exercice au grand air, fût-il dur, est, à son gré, un délassement.

La récolte des pommes de terre le ravit et il ne voit nul inconvénient à traîner une charrette : — C’était, dit-il franchement, ce que j’aimais le mieux. On attelle les hommes deux par deux avec une corde, et à ceux qui trouveraient là quelque chose de dégradant, je dirai qu’entre traîner une charrette, ou la conduire, ou encore pousser une brouette, il m’est impossible de