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t qu’est-ce que cette arme de combat au nom bizarre, « la Roulotte jaune ? »

Une roulotte en effet, pareille à celles de tous les forains ; seulement, l’affiche collée à ses flancs porte l’annonce de conférences telles que celles-ci : La terre pour le peuple. Le peuple à la terre. La terre au peuple, etc. Elle se promène cahotée sur de vastes espaces avec des temps d’arrêt aux portes de chaque village. Parmi les premiers curieux rassemblés autour de sa maison roulante, le conférencier choisit un président pour la séance du soir, et la plate-forme est dressée, car il s’agit de mener selon les règles le mouvement anti-féodal. C’est une situation intéressante ; d’un côté, l’antique appareil des lois et des coutumes, de l’autre, cet engin peint en jaune vif pour être vu de plus loin, assurément la plus petite des machines infernales dirigées contre un pouvoir gigantesque. Une poignée d’enthousiastes fait les frais de l’entreprise.

Les paysans écoutent, timides et inquiets, guettés de près par le garde forestier et par le constable. On leur dit du haut de la plate-forme : « Vous êtes un peuple privé de terres et tant qu’on que vous n’en aurez pas, vous serez pauvres. Si quelque chose arrivait demain aux usines et manufactures du Royaume-Uni, vous resteriez sans ressources, mais la ville ne réussit pas toujours à sauver la campagne et alors il n’y aura plus qu’à mourir de faim tous ensemble, prenez garde ! Dans le reste du monde civilisé, nul paysan n’est étranger au sol comme vous l’êtes. Quelque cinq cents représentans de la pairie possèdent un tiers de la terre arable ; de fait, presque toute la terre est réservée aux riches comme un jouet ; elle ne sert à rien d’utile, ce sont des parcs, des jardins, des réserves de gibier, et quoi encore… Les grands propriétaires vivent en majorité des revenus que leur procurent toutes les grandes entreprises de la Chine et du Pérou dans lesquelles ils ont une part. Même quand on demande à la terre quelques profits, ceux-ci ne pourraient suffire au propriétaire, au fermier et au laboureur ensemble ; c’est le journalier laboureur qui pâtit ; il est plus misérablement payé que partout ailleurs. Le système féodal s’est transmis intact en Angleterre, à la forme près, et la forme prétendue nouvelle est pire que l’ancienne. Le lord d’autrefois avait des devoirs, il payait les droits du seigneur en procurant des hommes et de l’argent pour le service de l’État ; il laissait aux pauvres toute la