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sur les autres gouvernemens monarchiques que ceux de son origine révolutionnaire, de sa nouveauté, et de l’espoir qu’il leur laisse de le renverser plus aisément ; enfin, que ce gouvernement monstrueux ne doit sa naissance et sa durée qu’à l’asservissement de l’Europe sous la puissance française ; et que cet asservissement étant nécessaire à sa conservation, les puissances de l’Europe n’ont à attendre de lui que des insultes et des agressions toujours croissantes.

« Sire, si Votre Majesté parvenait à faire sentir à la France et au monde l’instabilité du gouvernement de Buonaparte, et l’impossibilité qu’il s’arrête jamais à aucunes bornes, Elle aurait fait un pas énorme vers son renversement. Si j’ose le dire comme un résumé de cette longue lettre, le plus grand parti que Votre Majesté puisse tirer de la circonstance actuelle, me paraît donc être de faire sentir que la force des choses rend instable toute institution politique dont la base est révolutionnaire, et que celle de la prétendue dignité impériale l’est autant que l’était la base du Comité de salut public ; que chaque changement survenu en France, depuis l’horrible époque que je n’ose rappeler, a toujours tendu à la concentration du pouvoir dans les mains d’un seul, et s’est toujours rapproché graduellement de la forme de gouvernement sous laquelle la France est demeurée pendant tant de siècles ; que l’établissement de la prétendue Monarchie Impériale est une preuve bien forte de la nécessité de ce rapprochement ; et que, comme toutes les institutions qui l’ont précédée, elle servira quelque jour à prouver l’insuffisance de tout ce qui n’est pas la véritable Monarchie Royale, c’est-à-dire, le souverain légitime. »

Les considérations développées dans cette lettre témoignaient de trop de sagesse et de prévoyance pour que l’esprit judicieux de Louis XVIII n’en fût pas frappé. Depuis dix ans, les incorrigibles opinions de son frère, du prince de Condé, de la plupart de ses conseillers, de d’Avaray lui-même, trahissaient en eux une ignorance totale des grands changemens que la Révolution avait imprimés à l’âme française ; elles semblaient ne s’inspirer que des préjugés de l’émigration. Pour la première fois, le Roi entendait un langage nouveau, attestant une connaissance profonde des aspirations de l’Europe et de la France. Celui qui le lui tenait était un prince de sa famille dont il n’avait apprécié jusque-là que les qualités de cœur, et en qui, maintenant, il