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a fait ses preuves. Celui des assemblées uniques a fait aussi les siennes, chez nous en particulier, mais elles ne se recommandent pas seulement par des bienfaits. L’idée d’une assemblée sans contrepoids, c’est-à-dire souveraine, ne saurait en Russie se recommander plus que celle du suffrage universel à l’esprit d’un homme politique raisonnable. Une assemblée d’une part, l’Empereur de l’autre et aucun intermédiaire entre eux formeraient une étrange constitution ! C’est alors qu’on pourrait accuser de déloyauté ceux qui l’auraient organisée. Le choc serait, en effet, inévitable et prochain entre deux forces dont aucune ne voudrait se soumettre à l’autre ; mais elles seraient si inégales qu’il est facile de prévoir laquelle des deux resterait maîtresse du terrain. Le duel ne serait pas long ; l’Empereur serait le maître. Le pays, dira-t-on, se soulèverait tout entier ; la révolution se déchaînerait ; la république s’installerait sur les ruines du trône renversé. Chimères que tout cela, et chimères qui n’ont rien de séduisant ! Nous voyons bien l’anarchie en Russie, mais nous n’y voyons pas la révolution. Le pays est désorganisé, et cette désorganisation se traduit par un grand nombre d’incidens locaux dont quelques-uns sont très graves : par contre ce souffle puissant qui unit tous les efforts, les pousse vers un même but et emporte tout avec lui, ne s’y fait sentir nullement. Il peut y avoir en Russie des conspirations, des révoltes, des violences partielles, dont quelques-unes frappent quelquefois très haut ; mais la révolution, qu’on la craigne ou qu’on l’espère, n’y est pas mûre, et les plus intelligens de nos radicaux le reconnaissent avec sincérité. C’est pourquoi il faut beaucoup attendre de la bonne volonté impériale et se garder de la décourager ou de la lasser par des exigences irréalisables. A procéder autrement, ce n’est pas la révolution, mais la réaction qui répondrait. On peut trouver insuffisant ce que l’Empereur a donné : qu’on s’en serve néanmoins, qu’on en fasse l’essai, qu’on s’y applique, et on verra bientôt qu’une constitution, même rudimentaire, ne saurait rester stérile lorsqu’elle désigne des électeurs, que ceux-ci élisent une assemblée, et que celle-ci a des droits politiques, même restreints. Là est la véritable révolution, et la seule qui soit possible en ce moment.

L’initiative impériale n’a pas été tout à fait spontanée ; elle était sollicitée de toutes parts et les circonstances en faisaient une nécessité. Mais enfin l’Empereur a eu le mérite de la prendre et les amis de la liberté doivent lui en être reconnaissans. Il est, toutefois, regrettable que l’élection et la convocation de l’assemblée aient été remises au commencement de l’année prochaine. On a craint peut-être de faire