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maladie qui y existait à l’état endémique, et à étouffer dans l’œuf, pour ainsi dire, les épidémies qui y étaient importées du dehors. C’est le même plan de conduite qu’il faudra suivre en chaque lieu, à chaque réapparition du fléau, jusqu’à ce que l’humanité en soit définitivement libérée.

Mais, pour éviter le moustique, pour se mettre à l’abri de ses piqûres, il fallait en bien connaître le genre de vie, les mœurs, les habitudes, les particularités d’existence, en un mot l’histoire naturelle complète. Et c’est précisément ce que nous ont appris de nombreuses recherches dues à des naturalistes médecins parmi lesquels il faut citer les membres des trois missions organisées par les gouvernemens américain, anglais et français, et envoyées aux lieux d’infection pour y étudier sur place le mal et les remèdes. Il faut signaler encore les savans qui, de l’école de médecine coloniale de Liverpool et de l’Institut Pasteur de Paris, dirigeaient ces études et en centralisaient les résultats. En dehors des mémoires spéciaux, dont rien ne peut remplacer la lecture, quelques publications récentes, d’un caractère plus général, ont offert au public scientifique un exposé d’ensemble des notions acquises. Parmi ces ouvrages il faut signaler le beau volume de M. le docteur Raphaël Blanchard sur l’histoire naturelle et médicale des moustiques et l’excellent petit livre de MM. Chantemesse et Borel sur les moustiques de la fièvre jaune.

C’est au moyen des documens puisés à ces différentes sources que nous allons exposer, non point les procédés pratiques de la lutte contre la fièvre jaune, mais les notions scientifiques sur lesquelles la défense est fondée.


I

L’histoire des épidémies de fièvre jaune aux diverses époques révèle une tendance remarquable de la maladie à étendre ses ravages. Originaire des îles et du littoral du golfe du Mexique, pendant longtemps elle est restée cantonnée dans ce foyer d’origine. C’est à Vera Cruz que les conquérans espagnols se heurtèrent à elle, dès leurs premières tentatives de conquête du Mexique, au début du XVIe siècle. Elle leur fut un ennemi autrement redoutable que les Aztèques. Les historiens de la conquête racontent que la troupe de Diego de Nuñes, qui comptait 780 hommes au moment où elle vint occuper, en 1509, les terres basses de Vera Cruz, en perdit 400 en quelques jours : quinze mois plus tard elle était réduite à 60 hommes.