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délicieux ou pathétique, M. Charpentier rassemble tous les cris de nos rues. Lentement, et comme s’ils sortaient d’entre les pavés de la ville, ils s’élèvent, se mêlent et se répondent. « Marchand d’habits !… Du mouron pour les p’tits oiseaux !… Vl’à d’la carotte, elle est belle !… Qui veut des pois verts ! .. » Cependant le galoubet du chevrier de Béarn mêle à ces refrains maraîchers la voix plus haute et plus pure des montagnes lointaines. Pauvres appels, et de pauvres gens ! Offres modestes de choses plus modestes encore, de lait et de légumes, de vieilles nippes et de jeunes verdures ! De cet ordre ou de ce monde d’en bas, la musique n’a rien dédaigné ; par la grâce d’une harmonie, d’une modulation, d’une sonorité seulement, ’tout est devenu sien. « A la tendresse ! La verduresse ! » Une note unique, suspendue et traînante, donne une résonance infinie à ces rimes étranges et douces, et l’on ne soupçonnait pas, avant que M. Charpentier nous le révélât, tout ce que la mélopée du marchand d’habits, avec sa note sensible altérée et sa désinence qui monte, contient de mélancolie et de mystérieuse détresse.

Il y a plus, et les cris de Paris, dans Louise, ont une beauté non seulement pittoresque, mais dramatique. Ils touchent, ils tiennent, ils participent à l’action. Epars dans la douceur d’avril, ils se font conseillers d’audace pour Julien et, pour Louise, de faiblesse. C’est de leur concert que jaillit la flamme d’amour. Elle s’éteint ou languit par leur silence. A la fin du second tableau, l’amoureux Julien se trouble et s’éloigne parce qu’ils se sont tus. Ils reprennent alors, de très loin aussi, derrière la scène restée vide. Alors, je ne sais par quel hasard ou par cruel miracle des sons évanouis dans la solitude, le plus vulgaire de ces appels en devient le plus émouvant, et quand meurent les dernières notes : « Avez-vous des habits à vendre ? » il n’est pas un enfant de Paris qui puisse les entendre et ne pas sentir monter à ses yeux, du fond de son enfance, un vague désir de larmes.


Ainsi, jusque dans une œuvre comme Louise, qui n’est pas tout entière un opéra-comique, voilà du moins une part, et la meilleure assurément, que l’opéra-comique peut revendiquer.

Il y a tous les droits. Il retrouve là tous ses titres et même un peu de ses primitives licences. Quand Louise parut, chacun s’effaroucha d’abord et protesta, — non sans raison par momens, — contre la trivialité du sujet, des mœurs et du langage.