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Rien ne la rebute, cette musique, et sans que rien l’avilisse, tout est par elle honoré. Il n’est pas une voix, parmi les plus misérables, qu’elle n’essaie de rendre et plus douce et plus pure. Sur un trottoir de Montmartre, à l’aube, le personnel de la rue : l’agent de police et la plieuse de journaux, le balayeur et le chiffonnier, échangent des propos au moins familiers. Mais qu’une laitière vienne seulement à soupirer : « Voici le printemps, » — « La saison des amours, » lui répond un gardien de la paix, et, sur la galante réplique, trois ou quatre notes qui chantent, une modulation, une harmonie font passer un souffle d’avril.

Qui donc a dit, — M. Paul Bourget peut-être, — qu’« en art la sympathie est la grande méthode. » M. Charpentier n’en a pas suivi d’autre. Il suffit pour s’en convaincre, et pour mettre ou remettre à leurs places respectives les exemplaires variés d’un genre unique, de comparer deux ateliers féminins : celui de la Fiancée et celui de Louise. Où la musique d’Auber est toute ironie, sécheresse et rire moqueur, celle de M. Charpentier n’est que bienveillance, bonne grâce et sourire indulgent, quelquefois attendri. Tout en causant elles jasent, elles chantent, les ouvrières, et leurs aiguilles courent moins vite que leurs voix. Mais par momens elles se taisent aussi ; les fenêtres ouvertes laissent entrer les bruits et les parfums du dehors. Voilà l’plaisir, Mesdames, voilà l’plaisir ! Alors, le regard perdu, l’ouvrage échappé de leurs mains, elles écoutent, elles rêvent, et l’appel du marchand d’oubliés revient errer plus mystérieux sur leurs lèvres, soupir mélancolique de leurs vingt ans las de travail et languissans d’amour.

Autant que les petites gens, le musicien de Louise a chéri jusqu’aux choses, petites aussi, qu’il chante, et que personne encore, — fût-ce en les imitant, comme un Jannequin naguère, — ne s’était avisé d’aimer. Il a placé ses personnages dans le décor qui leur convient et leur ressemble ; il a rendu sensible deux fois, par la poésie et par la musique, l’atmosphère même de Paris. Ce n’est plus ici le Paris du Pré aux Clercs, le Paris de notre histoire et de notre passé : c’est celui d’aujourd’hui et de tous les jours, celui que nous voyons de nos yeux, que nous entendons de nos oreilles. Et nous l’en aimons davantage, d’un plus présent et plus vivant amour.

« Voilà l’plaisir, Mesdames ! » Autour de cette formule mélodique un des leitmotive de son œuvre et dont il a tiré maint effet