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d’imaginaire ; ils sont de notre temps et de notre pays. Ils disent la Bretagne lointaine et l’Orient prochain. Ils les disent, mais ils les chantent aussi ; et à la vraisemblance, au naturel, à l’actualité de leur « tenue » et de leurs propos, la musique ajoute son vague prestige et l’infini de ses rêves. Elle mêle avec des signaux, des commandemens ou des manœuvres de bord, des parfums et des murmures, les grandes houles du large et la fraîcheur étoilée de la nuit. Ainsi, de nos jours encore, aussi clairement que jamais, l’aimable génie de l’opéra-comique témoigne à la fois de la vérité de notre vie et de l’idéal qui la dépasse, et sans rien cacher, sans rien fausser du réel, il l’enveloppe et le pare de poésie.

Réalisme poétique : en ces deux mots se résume toute la hardiesse et toute la beauté d’une œuvre comme Louise. Pour le coup, le théâtre de l’Opéra-Comique n’avait jamais représenté de pareilles gens, ni des choses pareilles. Ou plutôt, si les choses, au fond, étant les choses de l’amour, restaient peut-être les mêmes, assurément les gens n’étaient plus reconnaissables. Il n’est pas jusqu’au nom de l’héroïne, qui ne parût sans gloire. Ceux de Carmen et de Manon peuvent du moins, à de pires désordres, servir d’excuse et presque de parure ; sans compter que le milieu, — comme on nomme l’entourage, — n’avait rien de plus noble que l’action. Encore, si l’éloignement des années ou des lieux, si la couleur d’une époque ou d’un pays relevait, toujours comme dans Carmen ou Manon, la médiocrité, voire la bassesse du sujet !… Toutes ces objections, ou ces remontrances, on les a faites au poète, et de toutes le musicien a triomphé. Il a su, lui, découvrir, sous la vulgarité des êtres et des choses, la grâce nouvelle qui s’y cache et trouver dans ce que Fromentin nomma si bien « la cordialité pour le réel » un principe de vie et de beauté.

Sur l’humble table qu’une lampe éclaire, au premier acte de Louise, ce n’est plus, comme au premier acte des Diamans de la Couronne, du chocolat qu’on apporte, et pour une señora, pour une reine ; ce n’est que de la soupe, et pour une famille d’ouvriers. Ce pouvait être le repas ridicule, si la musique seulement avait ri. Mais elle chante, elle rêve et surtout elle aime. Elle bénit la fin du jour et du labeur, la venue de la nuit et du sommeil. Elle apaise, elle compatit, elle console, et d’un logis ou d’un logement, elle fait, grave et pieuse, un foyer.