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banquet, entonnaient en son honneur : « O Richard, O mon roi ! » Il ne prévoyait pas qu’il languirait, lui aussi, « Dans une tour obscure, » qu’on ne forcerait pas le Temple ainsi que la prison autrichienne, et que personne n’aimerait le roi de France


Comme le vieux Blondel aimait son pauvre roi.


Mais il nous est permis, à nous, que dis-je ! il nous est commandé par nos souvenirs de lier l’œuvre à son temps. Elle enferme pour nous en quelques strophes pures, en quelques notes frêles, des siècles de France, tout un idéal de gloire et de beauté dont elle a salué la mort. Elle en reçoit une grâce de plus, avec je ne sais quelle mélancolie, qui lui garde une place à part dans l’histoire non seulement de notre art, mais de notre patrie.


III

Un peu plus de quarante années (1784-1825) séparent le premier chef-d’œuvre de l’opéra-comique : Richard Cœur de Lion, de la Dame Blanche, le second. En ce long espace de temps un seul ouvrage a paru : Joseph, qui les égale tous deux, si même il ne les dépasse, mais qui, nous l’avons dit, ne leur ressemble pas. D’autres au contraire leur ressemblent, sans en approcher : ce sont les œuvres du sensible Dalayrac, ou celles de l’aimable et spirituel Nicolo, ou les premiers essais de Boïeldieu lui-même jusqu’à Jean de Paris.

Dans Jean de Paris (1812) on voit reparaître le romantisme léger et vraiment d’opéra-comique, mais poétique, mais touchant, dont Richard Cœur de Lion porte les premières traces, et qui répand sur la musique de Boïeldieu presque tout entière un charme de mystère et de mélancolie.

« Le romantisme, disait Taine, le romantisme concevant un idéal différent de notre idéal à nous, voulut connaître ou imaginer les pays, les âges différens des nôtres, se mettre à la place, soit des étrangers, soit des anciens, et peindre les sentimens des autres siècles et des autres races avec leurs traits propres, si différens que ces traits soient des nôtres. » Boïeldieu plus d’une fois ne veut pas autre chose, et dans cet ordre de connaissance ou d’imagination, par des moyens très simples, naïfs même, il arrive à des effets exquis. Il a l’âme tendre et