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Cenerentola de Rossini. Vous trouverez sur les lèvres des deux héroïnes deux chansons fort différentes, voire très inégales.


Il était un p’tit homme
Qui s’app’lait Guilleri.


Telle est l’une, qui n’est vraiment qu’une chanson. Mais l’autre : « Una volta c’era un re ; » l’autre, dès le début, avec ses notes lentes, graves et comme lointaines ; l’autre, avec sa noble et vaste courbe mélodique, a la beauté, presque le mystère d’un conte ou d’une légende. Ainsi, par la vertu seule de la musique, de l’une et de l’autre comédie musicale, ce n’est pas la plus discrète et la plus fine, mais la plus robuste, la plus bouffonne, la plus folle même, ou qui va le devenir ; c’est l’italienne et non la française, qui tout de suite nous découvre le plus large et le plus poétique horizon.

La poésie, tel est le mot qu’il importe, quand on parle de l’opéra-comique, non pas certes d’oublier, mais de bien entendre et de définir. Henri Heine y a peut-être le mieux réussi. L’auteur de Lutèce une fois de plus a prouvé que rien de la France ne lui était étranger, quand il a écrit à propos du Déserteur : « Voilà de la vraie musique française ! La grâce la plus sereine, une douceur ingénue, une fraîcheur semblable au parfum des bois, un naturel vrai, vérité et nature, et même de la poésie. Oui, cette dernière n’est pas absente ; mais c’est une poésie sans le frisson de l’infini, sans charme mystérieux, sans amertume, sans ironie, sans morbidezza, je dirais presque une poésie jouissant d’une bonne santé. »

Voilà bien l’éthos de notre opéra-comique, et sa marque particulière. Elle ne trompe pas. Des chefs-d’œuvre comme ceux que nous citions au début de cette étude : un Joseph, et plus encore un Fidelio, un Freischütz, peuvent offrir, étant mêlés de dialogue et de musique, l’apparence ou les espèces du genre ; ils n’en possèdent point la substance et la réalité, parce qu’ils manquent de ce caractère moyen que nous cherchons à rendre sensible, ou plutôt parce qu’ils l’excèdent, et de beaucoup. L’admirable ouvrage de Méhul occupe dans l’histoire de la musique une place éminente, et peut-être unique, entre l’opéra et l’oratorio. Quant à Fidelio et au Freischütz, il suffit de les nommer à côté de nos opéras-comiques, — je parle même des meilleurs, pour sentir de quelle hauteur ils les dépassent.