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la scène où Bertrand, « le grand cousin, » venu visiter Alexis dans sa prison, y fait la rencontre et la prompte connaissance du brigadier Montauciel. Prié par son nouvel ami de chanter, le nigaud de village entonne, en glapissant tout du haut de sa tête, une candide et joviale chanson. Elle commence par cette maxime ou cette déclaration, hurlée à pleine voix et à plein cœur : « Tous les hommes sont bons ! » Mais ce qu’il faudrait pouvoir citer avec les paroles, plutôt que les paroles, c’est l’air ; l’air, qui fait la chanson, qui fait d’elle, avec une ampleur, une allégresse, une verve plaisamment lyrique, la devise ou le programme de tout un répertoire. Oui, sur ce théâtre béni, « tous les hommes sont bons, » ou presque tous, et nous parlons des femmes aussi. Les méchans, qui sont rares : un Gaveston, un Comminge, y sont punis. Il n’est pas jusqu’au brigand dont le poète et le musicien de Fra Diavolo n’aient fait un type délicieux. Ainsi l’un des plus anciens et des plus modestes personnages de l’opéra-comique en a prédit l’heureux avenir, et c’est le genre entier, c’est l’art des Grétry et des Boïeldieu, des Hérold et des Auber, dont un couplet de Monsigny nous annonce l’idéal indulgent et la souriante moralité.

Voilà pour ce que Taine appelait, dans l’œuvre d’art, le degré de « bienfaisance. » Quant à « l’importance, » ou à la généralité, qu’il ne considérait pas moins, le propre de l’opéra-comique, par rapport à des genres supérieurs, tels que la symphonie ou l’opéra, c’est qu’il possède ce caractère à un moindre degré. Le sujet et l’action, les personnages, leurs pensées et leurs sentimens, tout est moyen dans l’opéra-comique. Et même on pourrait ne voir en cette dernière qualité du genre que la somme des deux autres. Par ce juste « tempérament » s’expliquerait l’optimisme d’un art qui ne veut accorder rien de trop à l’émotion, moins encore à la douleur. Le goût de la mesure suffirait pareillement à justifier la combinaison de la musique avec le dialogue. Dans le passage que nous citions plus haut, M. Saint-Saëns a très bien fait la part de l’agrément qu’un certain public peut trouver à ce mélange. « Il repose les auditeurs, plus nombreux qu’on ne croit, dont les nerfs résistent mal à plusieurs heures de musique ininterrompue, dont l’ouïe se blase au bout d’un certain temps et devient incapable de goûter aucun son. » S’il est un pays où les auditeurs de cette catégorie ne sont pas rares, assurément c’est le nôtre, plutôt que l’Italie et que