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sang. Et vous savez si le public d’abord s’en indigna. Le nom seul du théâtre possède une vertu miraculeuse. Il fait revivre en musique des héroïnes tuées par la poésie, et nous avons vu l’Opéra-Comique ressusciter Mireille après Mignon. L’ancien répertoire ne compte pas une fin tragique, ou malheureuse seulement. Le Pré aux Clercs et Zampa finissent, il est vrai, par une mort, mais par la mort du méchant ou du traître, et c’est encore une manière de bien finir. Qui dira surtout les dénouemens fortunés de Scribe et d’Auber ? Weiss en a goûté vivement la félicité. Son couplet sur l’opéra-comique est demeuré fameux : « Au fond, pensez-en ce qu’il vous plaira ; si je suis ma pente, il n’y a jamais eu pour moi qu’un auteur parfait : c’est Scribe, qui a marié tant d’officiers de fortune avec des princesses belles comme le jour, tant de modistes avec des princes palatins, tant de comédiennes avec des ambassadeurs tout honteux de leur petit mérite, sans compter les ambassadeurs sacrifiés au premier ténor par les comédiennes désintéressées. Je ne suis pas exclusif. Je conviens que l’Enéide a de belles parties. Je ne dis pas qu’on ne peut pas s’enchanter de l’Odyssée. Je me suis bien réjoui avec les contes à dormir debout de l’Arioste… Mais si l’on me demande quel est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, je ne connais rien qui approche, même de loin, du merveilleux poème de Scribe, où l’on voit la reine de Portugal épouser, au son des fanfares d’Auber, un jeune hidalgo sans sou ni maille, qu’elle a rencontré en voyage, un jour de pluie, abrité sous le même rocher qu’elle. Aucune épopée au monde, aucune tragédie, aucun drame, aucun roman, aucun conte, ne m’a jamais satisfait pleinement, si ce n’est celui-là. »

Tous les vieux opéras-comiques ne tournent pas d’une manière aussi « consolante » que ceux d’Auber et Scribe. Il n’en est cependant pas qui tournent mal. Et leurs heureuses fins répondent à des commencemens, à des péripéties qui d’ordinaire n’ont rien de trop fâcheux. Ici les alertes ne sont jamais sérieuses, et des plus chaudes alarmes (rappelez-vous le Déserteur), on se remet en un moment. Innocent et de bonne foi, l’opéra-comique ignore jusqu’à l’ironie et à l’amertume de la comédie. Plutôt que de nous reprendre et surtout de nous blesser, il se contente de nous divertir. Je sais dans le Déserteur une scène significative à cet égard, et je dirais symbolique, si rien était plus étranger, voire plus contraire que le symbole, au genre que nous étudions. C’est