Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

outre mesure, elle le légitime et le consacre. Elle en fonde les titres ou les droits à la vie esthétique, non seulement sur les grâces légères qui lui sont propres, mais sur la nature même des choses et sur la vérité. Vérité relative, s’entend, comme toute vérité d’art ; vérité néanmoins, et dont l’opéra-comique autant que l’opéra peut-être a le droit de se prévaloir. Si toute œuvre, toute forme d’art est, suivant l’expression de Grimm, « une hypothèse particulière sur laquelle on s’engage de mentir, » ne peut-il arriver que le mensonge soit double et l’hypothèse partagée ? Hegel tout le premier a douté si l’opéra-comique, où l’on parle et où l’on chante, est moins naturel que l’opéra, « dans lequel, depuis le commencement jusqu’à la fin, chaque pensée, chaque sentiment, chaque passion, chaque résolution est accompagnée du chant et exprimée par lui. » Pour être plus une et plus haute que la fiction de l’opéra-comique, la fiction de l’opéra n’est pas nécessairement plus conforme à la réalité. L’une extrait en quelque sorte de la vie les élémens lyriques, pour en faire la matière d’une représentation purement sonore ; l’autre, plus modeste et plus docile, accepte la vie tout entière, mêlée de prose et de poésie ; la vie, où tous les sentimens, tous les caractères, toutes les actions et toutes les aventures ne sont pas musicales, ou, — passez-nous le barbarisme, — « musicables. » Pour en traduire l’inégalité ou le mélange, l’opéra-comique mêle à dessein des modes d’expression inégaux. Et sans doute entre l’un et l’autre le départ est difficile et les « passages » réciproques ont besoin d’être préparés. Ils ne sont pourtant pas impossibles, encore moins absurdes. Puisqu’ils se produisent dans la vie, l’art a le droit de les reproduire, et voilà pourquoi l’opéra-comique, s’il est contraire à l’unité d’une hypothèse idéale, ne l’est peut-être pas, autant qu’on peut le croire d’abord, à la nature et à la vérité.

Aussi bien, le mensonge, si mensonge il y a, de cet art aimable, ne fut jamais qu’un mensonge joyeux. Renan répétait volontiers, en sa béatitude : « L’intention de l’univers est généralement bienveillante. » Le mot, qui n’est pas vrai du monde réel, conviendrait assez bien au monde de l’opéra-comique. En cet heureux « petit monde d’autrefois, » la douleur était rare et légère, la mort à peu près inconnue. Il n’y a pas longtemps qu’on meurt sur la scène de l’Opéra-Comique. Le poignard qui frappe Carmen y a peut-être versé les premières gouttes de