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Elle les touche, assure un grand musicien moderne, que sa grandeur ne rend pas injuste pour un des genres moyens de son art. Elle les touche, quitte à les blesser quelquefois. Mais « le petit choc désagréable qu’on éprouve au moment où la musique cesse pour faire place au dialogue, » est peu de chose auprès de « la sensation contraire, » et de « l’effet délicieux qui se produit souvent dans le cas où le chant succède à la parole[1]. »

Ce n’est pas un musicien, c’est un poète qui peut-être a le mieux distingué les deux élémens ou les deux pouvoirs, dont le mélange et l’équilibre est une des lois de l’opéra-comique. Dans son discours de réception à l’Académie française, Alfred de Musset, qui succédait à Dupaty, le librettiste des Voitures versées, analyse finement le caractère ou l’éthos du genre et les rapports que l’une avec l’autre la parole et la musique y doivent soutenir. « Il faut, dit-il, saisir le moment précis où l’action peut s’arrêter, et la passion, le sentiment pur, se montrer et se développer. Ces sortes de scènes, où la pensée de l’auteur quitte pour ainsi dire son sujet, sûre de le retrouver tout à l’heure, et se jette hors de l’intrigue et de la pièce même dans l’élément purement humain, ces sortes de scènes sont extrêmement difficiles ; c’est la part de la poésie. L’opéra-comique est justement celui de tous les genres où se montre le plus distinctement ce temps d’arrêt, ce point de démarcation entre l’action et la poésie. En effet, tant que l’acteur parle, l’action marche, ou du moins peut marcher. Mais, dès qu’il chante, il est clair qu’elle s’arrête. Que devient alors le personnage ? C’est la colère, c’est la prière, c’est la jalousie, c’est l’amour. Que le personnage s’appelle comme il voudra, Agathe ou Elise, Dernance ou Valcour, la musique n’y a point affaire. La mélodie s’empare du sentiment : elle l’isole ; soit qu’elle le concentre, soit qu’elle l’épanché largement, elle en tire l’accent suprême : tantôt lui prêtant une vérité plus frappante que la parole, tantôt l’entourant d’un nuage aussi léger que la pensée, elle le précipite ou l’enlève, parfois même elle le détourne, puis le ramène au thème favori, comme pour forcer l’esprit à se souvenir, jusqu’à ce que la Muse s’envole et rende à l’action passagère la place qu’elle a semée de fleurs. »

Voilà la meilleure apologie de l’opéra-comique, la plus poétique et la plus judicieuse à la fois. Sans exalter le genre

  1. M. Camille Saint-Saëns (Portraits et Souvenirs).