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Méditations poétiques, est mort à Naples des suites d’une maladie de poitrine. Nous espérons que cette nouvelle sera bientôt démentie et que la mort n’aura pas moissonné au commencement de sa carrière ce jeune poète, l’espoir le plus brillant de notre Parnasse[1]. » Une autre version parvint jusqu’à la mère du poète : son fils avait été assassiné sur la route de Florence à Rome par des brigands. Elle avait beau tenir en main une lettre postérieure à la date du crime, elle n’était qu’à demi rassurée. Son fils ne lui cachait-il pas quelque péril qu’il aurait couru ? « Je sais, par son ami M. de Virieu, qu’il redoutait de revoir en Italie une personne qui ne lui pardonne pas son mariage. » Le fait est que Lamartine avait retrouvé à Florence la princesse italienne à la beauté éblouissante, à la voix timbrée d’argent, qui, l’hiver précédent, lisait Walter Scott au poète malade dans sa mansarde. Il alla lui rendre visite, lui fit l’aveu de son mariage. Il y eut scène de jalousie, reproches, menaces…

Lamartine arriva tout de même vivant à Rome. Le jour qu’il y entra, on venait d’apprendre la nouvelle de la révolution de Naples. Il laissa ces dames à Rome et alla seul rejoindre son poste[2].

  1. La nouvelle fut en effet démentie ; mais l’ « écho » du Journal des Débats lui valut une lettre très vive sur « les inconvéniens graves qui peuvent résulter de l’insertion de faits aussi légèrement admis et aussi peu constatés, quand ils sont de nature à plonger dans la douleur des familles entières. » La lettre, datée de Mâcon et signée des initiales F. L. L. était de l’oncle du poète : François-Louis de Lamartine.
    La note du Constitutionnel est intéressante à connaître, comme donnant le ton des journaux défavorables à Lamartine. « On avait répandu le bruit de la mort de M. Lamartine jeune poète chateaubrianté qu’on dit très riche, marié à une très jolie Anglaise, et qui, pour se punir de toutes ces prospérités, rime en paix des vers bien tristes, bien lamentables ; mais on apprend que le nouveau Polycrate a trompé la Parque, qu’il va nourrir sa mélancolie sous le beau ciel de Rome, et que ses vers seuls continueront de faire couler les pleurs de ses sensibles amis. »
  2. Nous donnons ici les fragmens d’une lettre écrite de Naples par Lamartine et doublement intéressante par les faits qu’elle mentionne, et parce qu’elle est adressée au baron Mounier, celui-là même à qui Mme Charles avait recommandé Lamartine en 1817. Nous en devons la communication à l’obligeance de M. Chéramy qui possède également les lettres de Mme Charles à Mounier.
    Naples, 28 août 1820.
    Monsieur le baron,
    … Je ne vous ai point importuné de mes lettres, tant que je vous ai su dans la chaleur des grandes discussions législatives où vous venez de triompher pour notre bonheur, mais je pense qu’aujourd’hui que vous respirez entre deux combats, il vous reste un peu plus de tems pour vous abandonner à vos sentimens particuliers et pour revoir avec intérêt et bonté le nom d’un homme qui vous sera toujours attaché. Je crois d’ailleurs avoir de nouveaux remerciemens à vous faire au sujet du présent flatteur que le gouvernement m’a accordé dans la collection des classiques de Didot. Je ne vois que vous qui ayez pu lui inspirer cette idée bienveillante à mon égard…
    Je me suis marié depuis mon départ de Paris. J’ai épousé une jeune anglaise que j’ai amené ici. J’ai fait un mariage convenable, agréable et qui me fait espérer toute sorte de contentement ; j’ai un grand plaisir à vous en faire part et à penser que vous voudrez bien vous intéresser à tout ce qui m’arrivera d’heureux.
    Nous sommes ici au milieu des premières crises d’une révolution qui commence et qu’on ne peut encore calculer ; les premiers triomphes du parti vainqueur n’ont été souillés par aucun excès ; ils ont été plus sages que nous ne l’étions même en 89. Les hommes principaux à la tête du mouvement se conservent dans cette modération d’idées et de conduite ; mais le succès a un peu ennyvré le reste qui ne reconnaît déjà plus ses chefs et qui donne de vives inquiétudes aux amis de l’ordre, de quelque opinion qu’ils soient. On attend avec anxiété l’ouverture du Parlement qui, à ce qu’on imagine, prêtera sa force au gouvernement nouveau…
    N’oubliez pas, je vous prie, de me rappeler de tems en tems aux bons souvenirs de M. de Reynneval. Je n’ai pas dans ma place d’autre moyen de me rappeler à lui.
    J’ai l’honneur d’être avec un profond respect et un durable attachement, Monsieur le baron, votre très humble et très obéissant serviteur,
    ALPHONSE DE LAMARTINE.