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assurances les plus parfaites qu’ils se prêtent à mes désirs et font ce qu’ils avaient annoncé. Je suis le plus heureux des hommes. Mon père ira à Chambéry pour tout arranger. J’écrirai un mot demain à Madame votre mère. Et nous n’aurons qu’à remercier le ciel et elle. Adieu.

J’ai conclu ici une association avec MM. de Bonald, Laménais et autres, qui me donnerait huit à dix mille francs par an, dont je ne parle pas à Madame votre mère parce que cela n’est pas fixe, mais qui cependant nous donneront de l’aisance. Mon petit volume de poésies a un succès prodigieux ici pour le moment, et qui passe de beaucoup mes espérances. Le roi m’en a fait faire des complimens superbes. Adieu. Quel bonheur de dire : nous !

Je suis faible encore, ce qui m’empêche d’écrire plus souvent.


C’est ici que nous regrettons le plus de n’avoir aucune lettre de la fiancée de Lamartine. Il eût été curieux de savoir comment une jeune fille, qui était en si parfaite communion d’âme avec le poète, appréciait les Méditations, au moment même où elles parurent. Du moins pouvons-nous, sans trop de peine, nous imaginer son émotion, tandis qu’elle lisait dévotement ce premier exemplaire que le poète lui avait gardé. Elle y retrouvait tout ce qui avait éveillé chez elle une si ardente sympathie pour celui qu’elle ne connaissait pas encore : la mélancolie, le sentiment de la nature amie et bienfaisante, le culte de l’amour. L’amour ! elle savait qu’il l’avait ressenti pour une autre dont l’image reparaissait à chaque feuillet du livre. Mais comment s’en fût-elle affligée ? C’est de savoir si bien aimer qu’elle aimait le poète, et c’est à cette plainte d’une passion brisée par la mort que son propre amour avait tout de suite fait écho. Elle avait rêvé de réconcilier avec l’espérance ce cœur lassé de tout. Y avait-elle réussi ? La réponse se trouvait dans les derniers vers d’une des pièces les plus parfaites du recueil : l’Automne.


Au fond de cette coupe où je buvais la vie
Peut-être restait-il une goutte de miel,
Peut-être l’avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu,
Peut-être dans la foule une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme et m’aurait répondu.


Dans ces vers, écrits au moment où le projet de mariage semblait rompu, la jeune fille reconnaissait, presque mot pour mot, telles phrases que Lamartine lui avait écrites et qu’elle se répétait souvent : « J’ai assez souffert, le ciel me garde enfin du bonheur… J’ai trouvé une âme qui répond en tout à la