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fatigue de poitrine ; on m’a mis un vessicatoire ce matin sur la place ; j’en soufre dans ce moment. Si j’étais sérieusement malade, je vous le dirais : ce n’est rien que la fatigue du froid et de l’inquiétude, ce sera fini dans huit jours. Je n’ai pas même la fièvre et je ne sors pas, seulement par prudence. Je suis soigné plus que je ne veux par tout le monde, ne vous tourmentez donc nullement à cet égard. On me comble de marques d’intérêt, et je trouverais ici tous les soins d’une famille, mais je n’en ai pas besoin.

Mes affaires vont mieux. Nous irons au Midi. Je vous aime toujours et toujours plus et cela ne finira pas, soyez-en bien sûre. Adieu, je vous écrirai des mots seulement, tant que je serai sous les ordres de mon médecin. Mais je vous dis encore une fois de ne pas avoir le moindre tourment ni sur cela ni sur autre chose.


Un moment vint où le malade dut renoncer à l’effort de tenir une plume. Ses amis se chargèrent d’écrire à sa place, et leurs lettres rassurantes eurent l’effet immanquable : elles répandirent l’alarme. La mère ne put y résister : elle partit de Mâcon, dans la nuit du 12 février, avec sa quatrième fille, Suzanne, une enfant de seize ans. Ce fut pour elle un rude voyage, et nous pouvons l’en croire, quand elle en dépeint la tristesse dans une lettre adressée, trois jours après son arrivée à Paris, à sa future belle-fille[1]. « Joignez à cela l’horreur de l’affreux événement que j’appris en route et qui jette dans la consternation toute la France[2], vous vous ferez une idée de ma malheureuse position. Je n’osais envoyer savoir des nouvelles de mon Alphonse, je n’avais osé descendre chez lui, je tremblais de regarder celui que j’avais envoyé, à son retour. Ses premières paroles remirent du baume dans mon sang. Il était beaucoup mieux. Nous y courûmes, après l’avoir fait prévenir de mon arrivée. Je le trouvai très faible et bien pâle. Mais le mieux se soutient et augmente, depuis trois jours que je suis ici. » Elle ajoutait un renseignement d’une nature délicate et dont on comprend l’importance aux yeux d’une femme si profondément pieuse, mais qui n’est d’ailleurs pas sans intérêt pour l’histoire du « christianisme » de Lamartine : « Vous seriez ravie, mademoiselle, de ses admirables sentimens pendant sa maladie… Il a demandé un prêtre, s’est confessé et est demeuré dans une paix d’âme, une douceur, une résignation qui a, je crois, beaucoup contribué à sa guérison. » Et elle profitait de l’occasion pour s’expliquer sur la nature de ses propres sentimens à l’égard de celle en qui elle

  1. Lettre du 19 février : « à Mademoiselle Birch, pour elle seule, à Chambéry. »
  2. L’assassinat du duc de Berry, par Louvel, le 13 février.