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tourment je vis. J’avais bien assez de mes propres tourmens, de mes propres soufrances physiques, qui ont été au comble ces temps-ci. Je commence à me retrouver un peu moins mal. Mais je ne sors presque pas, que pour mes affaires qui vont bien mal. J’avais besoin de me faire des protecteurs enthousiastes, pour obtenir ce que je voulais du ministre des affaires étrangères. J’ai trop réussi, j’ai fait mieux que bien : on a été tellement surpris de mon germe de talent poétique, qu’on a été dire à M. de Cazes qu’il ne fallait pas soufrir qu’un jeune homme qui promettait tant à la littérature fût absorbé à copier des dépêches diplomatiques, qu’il fallait à tout prix s’opposer à ce qu’il sortît de France et lui donner une espèce de sinécure à Paris, qui lui donnerait de l’aisance, rien à faire, et la liberté de faire et d’aller où il voudrait pour son talent et sa santé. M. de Cazes a dit qu’oui ; on m’a rapporté cette conversation avant hier soir chez la duchesse de Broglie, en me demandant ce que j’en pensais. J’ai répondu que pour moi considéré isolément il n’y avait pas de doute que cela me conviendrait beaucoup, mais que j’étais bien né, que j’avais un projet de mariage arrêté, qu’une place de secrétaire d’ambassade me donnerait plus de considération au dehors, et que je priais toujours qu’on ne fit pas de démarches contraires auprès de M. Pasquier (ministre de l’extérieur) ; mais j’ai cru voir aux réponses embarrassées qu’on m’a faites qu’il était trop tard déjà, du moins j’en ai peur. Je viens de récrire aux mêmes personnes à ce sujet. Je suis fort inquiet de cela à cause de nous et de Madame votre mère, car j’ai d’un autre côté si mal à la poitrine que je crois bien que je ne supporterais pas le Nord deux mois ; on me parle de Berlin… Je suis d’autre part fort persécuté de nouveau par le terrible oncle qui m’a rendu la vie si amère, et qui n’avait semblé s’adoucir un moment, que pour recommencer de plus belle à me tracasser sur tout et à propos de tout et de rien. Mais je ne me laisse pas abattre par toutes les incertitudes et contrariétés. Je vois dans l’avenir un moment qui compense tout, c’est celui où nous serons enfin réunis et où nous vivrons à deux ; nous nous consolerons de tout… Adieu, adieu, chère M… en voilà bien long pour mes forces et trop peu pour mon cœur.


20 janvier 1820[1].

Voilà enfin une de ces grandes bonnes lettres qui font mon bonheur de huit jours ! Je commençais à être bien en peine. Je suis vos ordres, chère Marianne, aujourd’hui, et je ne réponds qu’un mot, tant je suis soufrant ! J’ai un grand mal de poitrine et un peu de fièvre, et une si grande douleur de tête que je ne puis ni lire, ni penser, ni écrire ; mais je puis toujours sentir et vous adorer. Je ne vois pas de médecin parce que, depuis trois ans, je les ai tous épuisés ; je sais mieux qu’eux ce que j’ai, et ce qui me manque ils ne peuvent pas me le donner, il n’y a que Dieu et vous qui le puissiez ! Il me faudrait cette vie pleine et paisible que nous rêvons tous deux à la campagne dans un climat plus chaud que Paris. Je suis obligé de sortir, même aujourd’hui, pour ces maudites affaires qui n’avancent pas plus que le

  1. « Pour Mademoiselle Marianne Birch, à elle seule.