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Hélas ! j’ai peur que vous ne sentiez pas de même ! que vous ne vous lassiez de souffrir, pour qui ? pour moi, pour un homme si inférieur en tout à vous-même ! Ce n’est point là une fausse modestie, je le pense plus encore que je ne le dis ; mais si vous étiez réduite à n’aimer que ce qui vous égale, vous n’aimeriez jamais, et moi qui ne crains pas la supériorité dans ce que j’aime, qui n’aime au contraire que par admiration, je vous conviens sous ce rapport. Mais toujours je veux vous parler de nos affaires et toujours je reviens à nos sentimens !

Je n’ai rien avancé ici encore, puisque je n’ai que des paroles, des promesses qu’on me dit certaines ; mais dans la fluctuation rapide où nous sommes toujours politiquement, il n’y a de certain que le passé. Cependant, j’ai autant de gages qu’on peut en avoir d’être nommé secrétaire d’ambassade d’ici à quelques mois ! je le voudrais tout de suite, mais il n’y a pas de vide dans aucun endroit qui me convienne. Je suis protégé, prôné, porté par l’opinion des gens influens, autant qu’il est possible de l’être ; je ne puis pas suffire à la vogue d’enthousiasme qu’on me témoigne dans un certain monde pour mon prétendu talent ; je me tiens le plus possible sur la réserve à cet égard, mais un pas en entraîne un autre, et il n’y a pas de jour où je n’aye un dîner ou une soirée où l’on invite pour m’entendre ; cela m’ennuye et me fatigue horriblement, malgré l’espèce d’ennyvrement que cela produit un peu sur moi, mais bien peu, parce que je sais ce que c’est. Je n’y cherche que l’utile, c’est-à-dire des facilités pour arriver à mon but : vous. Après cela, je dis adieu à tout ! Vous seule et moi dans le monde.

Je travaille aussi beaucoup chez moi pour préparer ce petit volume de Méditations que je vous ai dit que je venais de vendre ; je compose et corrige en même tems ; je n’ai pas assez des heures de la journée pour tout ce qui les remplit et je n’ai pas assez surtout de ma santé qui, sans être bien mauvaise, est pourtant bien fatiguée. Mais il le faut, c’est pour Elle ! Ces deux mots me rendent mon activité…

Vignet me mande à l’instant qu’il a été à Leicherenne, que vous y avez à demi triomphé, aussi que ces dames et même Clém. lui ont parlé dans un excellent sens sur nous, rejettant toute leur opposition précédente sur notre précipitation dont les motifs leur sont inconnus. Tout va donc bien, excepté pourtant ma santé qui n’est pas bonne aujourd’hui. Mais vous me la rendrez aussi, n’est-ce pas ? Adieu. Adieu. Soyez pleine d’espérance, et j’espère avant six semaines vous donner quelque certitude. Aimez-moi comme je vous aime, en repos et en pleine sécurité ! Adieu, je vais dîner avec de maudits amateurs de vers, surtout la duchesse d’Escars et sa fille ; je sens bien qu’on ne me fera pas grâce et j’en souffre d’avance ; mais ce n’est qu’avec cette vile complaisance que je parviendrai par force à mon but. Vous savez mon but ?…


Paris, 15 janvier 1820[1]

Je ne reçois toujours rien, chère Marianne, depuis votre lettre du 2 janvier, où vous me disiez que vous étiez soufrante ; vous devez juger dans quel

  1. « Pour Mademoiselle Marianne Birch, seule. »