Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clémence ? Vous avez donc bien peur qu’on ne punisse pas assez ? »

Nous avons peur tout simplement qu’on ne ferme les yeux sur des désordres dont on n’amènera ni la suppression ni l’adoucissement par le seul fait qu’on feindra de les ignorer. Nous craignons qu’en niant les mauvaises volontés on ne leur donne un encouragement dont à la fin elles souffriront elles-mêmes gravement ; car le pouvoir qui les aura le plus surexcitées par son imprudence ne sera pas celui qui les frappera de la main la moins rude.

En conséquence, nous appelons l’attention sur la répression toujours nécessaire du mal ; mais de ce que nous disons que l’assistance ne suffira jamais à le faire disparaître, cela ne veut pas dire que nous ne comptions que sur la répression dure, impitoyable, étrangère surtout aux préoccupations morales. Il s’en faut ! Nous croyons que, pour accroître la somme de bien-être à réaliser dans la société, une prétendue assistance banale, sans discernement, relâchée, ouvrant la porte à tous les abus, aussi bien chez ceux qui l’administrent que chez ceux qui la sollicitent, ne vaut pas une répression vigilante, attentive à toutes les marques de retour, prête à pardonner, quand le pardon est juste et opportun. Nous croyons surtout que la « perfection relative où doit tendre l’ordre social exige que l’État se contente d’exercer par lui-même la fonction répressive : elle lui suffit ; elle et lui sont faits l’un pour l’autre, et là personne ne peut le remplacer.

Pour ce qui est de l’assistance, c’est le devoir de l’Etat d’être attentif à la façon dont elle se donne et d’en réprimer les abus, s’il s’en produit. C’est aussi son devoir d’entrer en scène là où la libre association, la libre mutualité, la libre charité enfin n’auront pas suffi. Là où elles agissent, il doit être heureux de leur céder la place parce qu’il y trouve une meilleure économie (dans tous les sens du mot) des richesses collectives. Il fut un temps où l’on pensait que le devoir d’un gouvernement était de travailler à se rendre inutile, d’épier partout l’apparition et les progrès d’une œuvre libre pour lui laisser exercer, sous contrôle, une partie de l’action sociale. On croyait avec raison qu’à une pareille politique tout le monde gagne, — ceux qui agissent, ceux pour qui on agit, — et que l’État, dispensé d’agir là où il peut être suppléé, n’en retrouve que plus de liberté d’agir fortement dans les sphères à lui réservées. Mais depuis quelque temps surtout, — est-il