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tous les torts et le pacificateur de tous les partis, entend se réserver une distribution de bienfaits où il n’est que trop tenté de multiplier les faveurs à son idée. Mais nous devons examiner ici ce problème du point de vue spécial que nous nous sommes assigné. L’État est-il plus sûr d’améliorer la répression, c’est-à-dire de la rendre plus efficace en la faisant plus humaine, s’il se charge lui-même de l’assistance des gens déjà coupables ou en danger de le devenir ? Voilà pour nous toute la question ; elle mérite que nous nous y arrêtions encore.

Beaucoup pensent que l’État, — parce qu’il est neutre et que c’est peut-être en effet son devoir, — se démunit lui-même nécessairement des plus grandes ressources éducatrices ou réformatrices que connaisse l’humanité : ils en concluent qu’il laisse bien aisément se corrompre les âmes dont il lui a plu d’assumer la direction et la responsabilité. Je n’irai pas tout à fait jusque-là ; car j’admets ou, pour mieux dire, je sais que, quand l’œuvre d’un établissement officiel a été préparée et continue à être soutenue par des familles normales, cette collaboration n’est pas embarrassée pour faire montre de certains succès. Mais voyons l’État prenant à sa charge des natures très compromises et substituant auprès d’elles son influence à toute autre. Il les réunit, il les agglomère en de vastes groupemens[1]. Cette seule agglomération rend les conditions du relèvement très difficiles. La subordination, la diminution, l’élimination progressive de tout ce qui n’est pas neutre rend la tâche plus malaisée encore. L’étiquette n’y fait rien, parce qu’elle ne signifie rien. L’État peut la changer tout à loisir, — comme d’ailleurs il ne s’en est pas fait faute : refuge, asile, dépôt, colonie, réformatoire, maison de salut, maison de travail, s’il s’agit de désigner les lieux et les édifices ; correction, amendement, relèvement, réforme et tout ce qu’il vous plaira, s’il s’agit de désigner la méthode souhaitée, ce n’est point là ce qui peut modifier le caractère de la population. Or, c’est ce caractère même qui détermine le régime à adopter, comme c’est ce régime qui fait à son tour la réputation de l’établissement.

On s’est beaucoup moqué, — non sans fondement, — de ces

  1. Sous quels mobiles traditionnels (en France surtout), administratifs, économiques, financiers, il est à peu près contraint de le faire, c’est ce que j’ai expliqué dans la Recherche de l’Éducation correctionnelle à travers l’Europe, in-12, Paris, Lecoffre.