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autres. La société ici n’oublie pas son devoir d’assistance ; seulement, comme nous l’avons déjà fait observer, elle l’exerce en faveur de ceux qu’elle défend contre les actes qu’elle réprouve et contre les projets nouveaux dont le nombre serait bien vite accru par la vue de l’impunité.

N’abusons pas cependant de cette opposition, si évidente qu’elle soit ; cherchons loyalement si la société n’a pas intérêt à assister le coupable même et à quel moment, sous quelle forme, sous quelles conditions elle le peut faire.

Le moyen non seulement le plus humain, mais le plus sûr de réprimer le délit (en prenant ce mot « réprimer » dans son sens le plus précis, qui est en même temps le plus compréhensif et le plus plein) serait évidemment d’amender le coupable ; et alors assistance et répression coïncideraient. Il est clair que si vous transformez un vagabond en un travailleur régulier et un voleur en honnête homme, vous rendez à la société un plus grand service qu’en gardant sous les verrous d’une maison centrale un prisonnier de plus. Cicéron disait dans son De officiis ; « Je ne sais si ce n’est pas assez du repentir pour amender le coupable et pour empêcher les autres de l’imiter. »

L’idée est profonde, mais le doute qui l’accompagne pourrait être un peu plus accentué. Oui, le repentir aurait cette double vertu s’il était persévérant, s’il était logique et s’il se manifestait aux yeux des autres avec une intensité suffisamment contagieuse, — toutes conditions difficiles à obtenir, la dernière surtout. Aussi, en présence de l’homme qu’elle juge et qu’elle va sans doute condamner, la société est-elle comme le chirurgien devant un malade qu’on ne peut pas laisser tel qu’il est sans intervenir, bien que l’on conserve quelques doutes sur les suites de l’intervention même. A l’un comme à l’autre s’impose avant tout le vieil aphorisme : primo non nocere ; il ne faut pas par sa faute aggraver le cas et augmenter le foyer d’infection qui, par son action envahissante, ne tarde pas à multiplier ses victimes.

Lorsqu’un prévenu comparaît pour la première fois, lorsque son délit semble l’effet d’un entraînement excusable et qu’il y a lieu enfin d’espérer de bons résultats des réflexions qu’il a dû faire en se voyant arrêté, interrogé, mis en face de la loi, c’est l’aider dans sa résistance au mal et dans ses efforts que de lui remettre provisoirement sa peine. Ainsi l’ont pensé les auteurs de la loi de sursis : somme toute, ils ont eu raison.