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des Moreaux où deux repas par jour et le coucher leur sont accordés, moyennant un travail facile dont le produit leur est remis, défalcation faite d’une partie de la dépense. »

Cet avis, je crois devoir le dire, émane d’une préfecture où actuellement l’on se dit socialiste, en compagnie des représentans très avancés d’un corps électoral très avancé lui-même. Insinuerai-je qu’étant après tout des « bourgeois, » ces administrateurs ou fonctionnaires sont bien aises de faire constater l’indignité des quémandeurs ? Je m’en garderai, et je me contenterai de dire qu’ils ont dû se rendre à l’évidence des faits. Ajouterai-je qu’il ne reste plus qu’à fermer la maison où le travail offert est ainsi refusé ? Eh bien, non ! Dans les exemples que nous fournissent les Allemands et les Belges, nous voyons que les faux pauvres étant partis, les vrais arrivent et restent. M. Boldeswing, dont nous résumions tout à l’heure le témoignage, a bien vu disparaître les quatre cinquièmes de sa clientèle ; mais « parmi ceux qui persistèrent, un grand nombre demanda à être occupé, non pas seulement une heure, mais d’une manière durable, en échange de la nourriture et du logement. » Cette expérience nous permet plus d’un pronostic.

La nouvelle fondation d’Auxerre a été dès le premier jour envahie par des vagabonds qui erraient aux alentours : ils sont venus voir si la soupe y était bonne et n’y était pas trop chèrement vendue par des administrateurs exigeans. Ceux-là sont donc retournés à la grande route, sans oublier les chemins de traverse. Peu à peu, de plus honnêtes et de plus intéressans frapperont à la porte. Ils seront amenés, moitié par la nécessité, à la suite d’un chômage involontaire et imprévu, moitié par l’idée que les mauvais chemineaux ne se présentant plus à l’établissement, on peut y aller sans trop se discréditer. Alors l’asile aura sa petite clientèle. On en fera la statistique, on enregistrera avec satisfaction le pourcentage de ceux qui se seront laissé placer ou qui auront trouvé eux-mêmes, au bout de quelques semaines, un travail plus régulier. On s’en félicitera publiquement, et les personnes encore novices qui entendront ces congratulations au jour de la séance générale annuelle, se diront peut-être que la solution du vagabondage est trouvée par la seule pratique de l’assistance sans répression ; car elles ne regarderont qu’à ceux qui ont bien voulu se servir de l’œuvre et elles ne verront pas ceux qui seront devenus pires pour s’en être systématiquement détournés.