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institutions à fonder, à peupler, à gouverner, donc une part grandissante à prélever sur le budget national.

Que ce soient cependant là deux sœurs obligées de s’aider l’une l’autre dans leurs missions respectives, telle est bien la solution du sens commun. Comment assister les volés si on ne commence pas par punir les voleurs, quelle que soit d’ailleurs la punition préférée (publicité, dommages-intérêts, travail forcé ou tout ce que l’on voudra). D’autre part, la société doit veiller, — c’est son intérêt, — à ce que nul ne soit mis malgré lui dans l’impossibilité de vivre de son travail actuel ou passé. On ne réprime pas efficacement une inondation si on n’ouvre pas à l’eau des voies régulières. On ne réprime pas les mauvais penchans si on n’aide pas les bons à trouver la satisfaction qu’il faut qu’ils poursuivent pour le bien même de la société dont ils font partie.

Mais, nous ne le savons que trop, le sens commun n’est pas ce qui règle les audaces ou les étourderies des prétendus novateurs. Quelquefois même, les gens « sages et modérés » croient sauver un principe par les concessions qu’ils font à un principe absolument opposé, de manière à n’organiser partout que le désordre et l’impuissance. Demandons-nous donc, puisqu’il le faut, si l’assistance peut obtenir assez de succès pour prendre définitivement la place de la répression après l’avoir rendue de plus en plus inutile. Ainsi réduite, la tâche est encore très délicate ; elle a devant elle bien des exigences à calmer et bien des illusions à écarter.


I

Nous n’en aurons en effet jamais fini avec ce lieu commun, que la criminalité a pour cause unique la misère involontaire, et avec cette utopie qu’il appartient aux pouvoirs publics de supprimer la misère même en mettant simplement au service des uns une portion toujours croissante de ce qu’a produit le travail des autres. Que n’avons-nous pas lu et entendu dans ce double sens ? Si l’homme vole, c’est qu’il a faim, qu’il a froid, c’est qu’il est entraîné malgré lui à la jalousie et à la haine par l’aspect insolent du luxe d’autrui. S’il vagabonde et s’il incendie, c’est qu’on ne lui a pas fourni à temps du travail, et du travail à sa convenance. S’il incendie les bibliothèques et les musées, c’est qu’on ne lui a pas donné l’instruction et sans doute aussi les