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énergiquement contre « les doctrines soi-disant humanitaires au nom desquelles on a prétendu ériger en principes démocratiques l’oubli des devoirs individuels ou collectifs, l’indifférence pour le sol sacré de la patrie, et la non-résistance à l’invasion et à la servitude. » Leur internationalisme n’est qu’une forme, une forme savante et détournée, mais une forme du patriotisme. Ils veulent, non pas « la suppression » mais « l’association des patries. » Bien loin de prêcher le « désarmement, » ils s’accordent entre eux, et avec nous, pour reconnaître « qu’on ne saurait trop perfectionner nos moyens de défense. » Et ils concluent enfin que, même « quand on aura fait entrer l’arbitrage dans les mœurs internationales, » il n’y aura pas lieu de parler de désarmement, « ce qui serait absurde, » ni seulement de « réduction des arméniens, » mais, tout bonnement, — et je serais tenté de dire tout bêtement, — « d’une limitation, d’un arrêt dans les dépenses navales et militaires. » Encore une fois, je suis heureux, très heureux, d’avoir arraché ces aveux à deux « pacifistes » éminens ; j’en prends acte ; et je ne leur demande plus que d’y faire adhérer M. Charles Richet, par exemple, ou M. Jean Jaurès.

Seulement, à qui donc en ont-ils ? et contre qui ou contre quoi protestent-ils ? Car, dans l’article auquel ils répondent avec tant d’abondance, on n’avait voulu traiter ou effleurer que trois points.

On avait prétendu rappeler d’abord aux pacifistes que, s’ils se plaignent qu’on « déforme leurs idées » pour en mieux triompher, ils se forgeaient, eux, pour en avoir plus éloquemment raison, des adversaires imaginaires : le « militaire professionnel ; » et le politicien à qui, — ce sont les termes de M. Frédéric Passy, — « la guerre extérieure, ou la menace de la guerre extérieure paraîtrait le seul préservatif réellement efficace de la guerre civile. » J’ai d’ailleurs refusé, je refuse encore à M. Frédéric Passy, qui se plaint qu’on méconnaisse ses intentions, le droit de travestir ainsi les miennes. Mais était-ce bien la peine de se défendre d’avoir tracé du « militaire professionnel » l’image que je rappelais ; et, sur ce premier point, en écrivant, dans sa réponse, la phrase qu’on vient de lire, M. Frédéric Passy ne me donne-t-il pas entièrement raison ?

En second lieu, j’avais essayé de montrer qu’aucun des grands problèmes qui maintiennent le monde sous le régime de la paix armée ne saurait être résolu par des moyens pacifiques, et je crois, hélas 1 pouvoir le répéter. M. d’Estournelles me répond qu’il espère, bien le contraire, mais il n’oublie que de le prouver, et, en attendant, il convient, sans en convenir, mais en en convenant tout de même, que son