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nôtres et dont nous réprouvons les excès, je vous dirai que vous en êtes infiniment plus responsable que moi-même, — car à vous entendre ou à vous lire, on peut se laisser entraîner à passer la mesure, — et que, si les académiciens savaient observer plus de modération, les professeurs peut-être feraient comme eux.

Cessez donc de parler de notre platitude et de notre peur de la guerre. Pas un seul Français, pas un seul être pensant ne subirait la paix à tout prix. Plus un peuple est libre et civilisé, plus il a à cœur de rester indépendant ; plus il a de respect pour les biens et les droits d’autrui, plus il affirme sa volonté de faire respecter les siens ; cela tombe sous le sens ; loin d’énerver nos contemporains, nous les fortifions en élevant leur personnalité : nous leur donnons des raisons de vivre et par conséquent de défendre leur existence.

Quant à moi, je n’ai pas peur de la guerre, mais j’en ai l’horreur, le dégoût et je donnerais ma vie avec joie pour l’éviter à mon pays ; et peu m’importe ce qu’en a pensé votre Joseph de Maistre. La guerre a pu être une loi du monde, mais cette loi s’est modifiée comme bien d’autres ; notre devoir est d’améliorer les conditions de l’humanité, non de les subir.

Est-ce à dire que j’aie jamais caressé des rêves de paix perpétuelle et universelle ? J’ai répondu à cette objection trop commode en parlant du désarmement. Une force est nécessaire au service du droit et de l’ordre. En attendant que cette force commune s’organise entre les États, comme elle a commencé déjà de fonctionner avec succès, par exemple en Crète et comme la police s’est organisée dans chaque État, il nous faut conserver ou plutôt perfectionner nos moyens de défense. Qui donc le conteste ? Et qu’ai-je donc fait jadis pendant les trois ans que j’ai consacrés à la création du port de Bizerte ? Mais pour perfectionner nos moyens de défense, les mettre au niveau des incessans progrès de l’invention moderne, il faut avoir la franchise de les juger et non pas les soustraire, comme autant de choses sacro-saintes, à la discussion, au contrôle de l’opinion ; c’est là ce que vous appelez la haine de l’armée, et c’est ici encore que j’entre en conflit avec vous.

Si nos moyens de défense sont ruineux, j’estime et j’ai le devoir de dire qu’ils constituent pour notre pays un danger final, plus qu’une protection ; et il en est de même pour l’Allemagne et pour l’Angleterre, pour toutes les puissances militaires ; je ne cesserai pas de le répéter.

Mais, direz-vous, les Pacifistes, les Socialistes s’emparent de mes argumens. Tant mieux, répondrai-je : pourquoi les leur avez-vous