Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et nous voulons en même temps que, dans cette tâche, pour cette défense du droit international, comme du droit individuel, la force ne soit employée que dans la mesure réellement nécessaire ; et que des puissances et des autorités morales, avant d’en venir à la contrainte matérielle, puissent être appelées à faire parler la raison et à dire le droit.

Nous prétendons, en un mot, qu’il y a une morale publique comme il y a une morale privée ; que les nations, comme les individus dont elles se composent, si elles ont des intérêts, ont des devoirs ; que, des uns aussi bien que des autres, elles ne sont point autorisées à se faire juges elles-mêmes ; et qu’il est possible, dans une certaine mesure tout au moins, de substituer, pour la solution des conflits qui les divisent, le verdict d’une juridiction impartiale aux décisions arbitraires, précaires et coûteuses de la force.

Dans une certaine mesure : les tribunaux et les gendarmes ont-ils jamais nulle part absolument supprimé le recours à la violence ? Mais dans une mesure grandissante, et dont, malgré l’évidence, même des hommes tels que vous, monsieur, ne se rendent point encore suffisamment compte. Il y avait, à l’actif de l’arbitrage, au 31 décembre 1900 (voyez la Pasicrisie de M. le sénateur belge La Fontaine, qui en donne les textes officiels) cent soixante-dix-sept sentences ayant réglé autant de conflits, et dont aucune n’avait été méconnue. Quatre-vingt-dix (plus de la moitié) se rapportaient aux vingt dernières années du siècle ; et dès le mois d’avril, lorsque parut l’ouvrage, le chiffre de deux cents était dépassé. Aussi le président de la Chambre des députés autrichienne, M. le baron de Plœner, pouvait-il dire, en ouvrant en 1903 la XIe session de l’Union interparlementaire, que « l’arbitrage faisait désormais partie du régime régulier des nations civilisées ; » et le premier ministre baron de Kœrber ajoutait un instant après : « L’obligation de l’arbitrage sera, messieurs, le couronnement de vos efforts. »

Vous n’ignorez pas, monsieur, les traités et les accords internationaux qui sont venus, depuis, justifier ces paroles. Vous n’ignorez pas de quel poids, dans des circonstances qui, à d’autres époques, auraient fatalement abouti aux plus lamentables extrémités, la sagesse des gouvernemens, soutenue par la puissance modératrice et non plus excitatrice de l’opinion, a pesé dans la balance troublée de l’équilibre international. Et si vous nous opposez, comme on le fait trop, les guerres qui, en dépit de ces progrès, ont encore attristé et attristent à cette heure même le monde, nous vous répondrons, comme le faisait dans son admirable langage le comte Albert Apponyi, à la conférence