Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de quels noms elles sont signées. Il est trop facile, en vérité (et vous ne voudriez pas vous servir de telles armes), de laisser attribuer aux gens que l’on combat, pour les perdre sous le couvert de ce que l’on a appelé la complicité morale, des paroles ou des écrits qui ne leur sont pas imputables, et de faire, comme on y excellait à l’époque de la Terreur, descendre d’une tête sur une autre, pour en avoir raison, des insinuations qui se transforment, suivant l’heure ou le cas, en anathèmes ou en couperets.

Ce que nous pouvons affirmer, monsieur, c’est que le portrait du militaire professionnel que vous nous présentez n’est pas de notre main ; et que ni le mépris, ni la haine de l’armée, ni, à plus forte raison, l’odieux calcul de cultiver artificieusement, pour les exploiter, les plus basses convoitises de l’anti-démocratique démagogie, ne sont jamais entrés un seul instant dans nos cœurs.

Nous savons, et nous ne le dissimulons pas (comment pourrions-nous feindre de l’ignorer en présence des effroyables révélations qui nous viennent, tous les jours et par toutes les voies, de tous les points à la fois du monde asiatique ou africain, et dont toutes les nations, hélas ! comme à l’envi, se renvoient la honte ? ) nous savons qu’il y a, malheureusement, sous l’habit militaire, et par cette redoutable fatalité qui pousse partout la force, quand elle n’est point contenue, à abuser d’elle-même, des crimes qui déshonorent l’uniforme qui les couvre, parce qu’ils déshonorent l’humanité. Mais nous n’avons garde de généraliser les exceptions et de faire rejaillir sur l’ensemble du corps l’infamie de quelques membres dont il rougit.

Nous professons en toute occasion, pour le soldat qui accomplit honnêtement son devoir, pour l’armée, qui est la France, et pour le drapeau, qui est le symbole de la patrie, le respect qui leur est dû. Nous protestons plus que personne contre les doctrines soi-disant humanitaires au nom desquelles on a prétendu ériger en principes démocratiques l’oubli des devoirs individuels ou collectifs, l’indifférence pour le sol sacré de la patrie, et la non-résistance à l’invasion et à la servitude. Et si nous voulons voir l’armée, consciente tout à la fois de la grandeur et des limites de sa tâche, ramenée, comme l’avaient proclamé en vain les patriotes libéraux de la Révolution, à la défense de l’honneur et de l’intégrité de la pairie, c’est précisément pour que, dans ce rôle indispensable et indiscutable, elle soit tout ensemble plus grande, plus respectée et plus obéie ; et que la force, dans les conflits internationaux comme dans les conflits privés, soit enfin, comme elle doit l’être, la représentation et la garantie du droit et de la justice.