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terrible, plein de vie et de mort… » Oui, lieu terrible, ses hôpitaux en sont une synthèse. Vie et mort, luxe et indigence, spectacle de grâce exquise et d’atroce misère. Le contraste est trop grand. Le pauvre sera dépaysé parmi tant de fleurs, tant de propreté, tant de confort : il hésite à venir, à se transplanter du sol pierreux de son taudis dans la trop grasse terre de bruyère. Et au retour, le choc est rude aussi, en contre-coup. Jouira-t-il de nouveau de son chez-lui ? Les racines reprendront-elles, dans le sol ingrat ? Et voilà pourquoi il est aussi nécessaire qu’il est sublime, le dévouement des « district-nurses[1]. »

Mais de ces tableaux successifs, ce matin, l’impression qui me reste, dominante, est celle que ne peut manquer de produire l’agglomération de telles misères. Ma petite nurse ne s’en est pas blasée. Aussi désire-t-elle consacrer sa vie à les soulager. Les hôpitaux, d’après elle, sont trop confortables, surtout pour les infirmières, « qui, me dit-elle, n’en demandaient d’abord pas tant. » Il y a, quelques années, en effet, surchargées de besogne, elles avaient réclamé. On leur a répondu surtout par des améliorations matérielles, alors que ce qu’elles voulaient, c’était l’augmentation de leur effectif. Elles l’ont, au surplus, obtenu par la suite, dans la plupart des hôpitaux ; mais leur vie à présent semble presque admettre l’égoïsme, tant le confortable en est la condition première.

En somme, tous les extrêmes, toutes les tentations ou peuvent être entraînées des œuvres d’initiative privée lorsqu’elles réussissent, on y est tombé à Londres. De l’argent, beaucoup d’argent. Des donateurs généreux, très généreux : beaucoup d’émulation. Avec cela, les goûts et les habitudes de luxe et d’excessif confort, qu’on est porté à étaler, même hors de chez soi. Le « display » de dépense en tout. J’ai donné mon argent, je veux en voir l’emploi. Plus il sera visible, plus les effets en apparaîtront, plus j’en serai satisfait. Les plus grosses dépenses ne me feront pas peur. Un hôpital, s’il veut recevoir de l’argent, doit en avoir jeté beaucoup par la fenêtre. Il s’en vante, et cela lui réussit. — Vous voyez bien que je n’en ai plus. Or, il m’en faut. Donc, vous m’en donnerez. — Voilà le plus péremptoire des syllogismes. Et l’Anglais donne.

Cela est inimitable ailleurs ; le même système risquerait de

  1. On pourrait justement les comparer aux Petites Sœurs de l’Assomption, ces vaillantes gardes-malades du pauvre, qui se dévouent dans nos faubourgs.