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merce[1]. » À peine si, sur le pavillon de guerre, et en vertu des constitutions séparées, le signe de l’union apparaît dans un coin, près de la hampe. Tout, jusqu’aux symboles, sépare ces royaumes unis. Tout dans les lois, dans l’histoire, dans les mœurs. L’acte qui devait organiser l’union n’organise qu’un perpétuel conflit ; pour résoudre ce grand conflit, la Norvège, à la « douloureuse surprise » de la Suède, a pris le grand moyen : dissoudre l’union.

Mais demain ? De quoi demain sera-t-il fait ? La Norvège, aujourd’hui, demande un roi ; elle le demande à la Suède ou au Danemark — ressouvenirs anciens ! — et plus loin, par delà la Baltique, ou la mer du Nord, peut-être que le Ciel, aidé par les hommes, se prépare à lui envoyer quelque soliveau d’Angleterre ou quelque grue d’Allemagne. Si elle ne trouve pas de roi, fera-t-elle comme d’autres, apprendra-t-elle à s’en passer, et ses tendances démocratiques tourneront-elles subitement à des institutions républicaines ? Et comment se comportera-t-elle envers la Suède ? L’alliance remplacera-t-elle l’union, ou, au contraire, la rivalité s’exaspérera-t-elle en hostilité ? Si c’est l’alliance, se bornera-t-elle à la Norvège et à la Suède seules, ou le Danemark y sera-t-il appelé ou admis en tiers, comme jadis, à diverses reprises et par alternatives, dans les « unions » tentées et plus ou moins manquées depuis 1319 ? Le verrons-nous surgir, au soleil de minuit, ce « Nord » au bonheur duquel la Norvège convie la Suède à travailler ? Le « Nord ; » un petit mot, qui se glisse presque inaperçu : un tout petit mot, une ambition immense. Mais, s’il surgit, que fera-t-il avec ses trois royaumes, peuplés, à eux trois, d’une dizaine de millions d’habitans, et pris comme entre trois banquises, entre trois masses impériales : la masse germanique, 60 millions, la masse russe 125 millions, et la masse britannique, combien de millions d’hommes ? Sous le protectorat de qui tombera-t-il ? Par quel effort lui-même s’en arrachera-t-il, ou d’autres l’en arracheront-ils ? Ses rois seront-ils ou ne seront-ils pas réduits à n’être, eux, en toute vérité et non pas seulement en voyage, pour l’incognito, des comtes du Nord,

  1. La Norvège, ouvrage officiel publié à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris 1900, 1 vol. gr. in-8o ; Kristiania. Imprimerie centrale, 1900, p. 174 et 175. — Cf. R. et P. Dareste, les Constitutions modernes, t. II. — Voyez aussi la Constitution suédoise et le parlementarisme moderne, par Pontus Fahlbeck, professeur à l’université de Lund ; 1 vol. in-16. Paris, 1905, A. Picard.