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beaucoup, et, à ce petit jeu, le Béarnais eut le dessus, comme il l’eût eu probablement du reste, avec plus ou moins de peine, au grand jeu de la guerre. « Tenant compte, dit-il, — car il était bon prince ! — de la situation très tendue de l’Europe, » Charles-Jean consentait, au nom de son roi, à accepter la constitution norvégienne nouvellement votée ; il faisait toutefois certaines réserves « pour les modifications qu’une union avec la Suède rendrait nécessaires, et au sujet desquelles on devrait entamer des négociations directes avec le Storthing norvégien. » En octobre, le Storthing réuni examina ces modifications que l’union rendait nécessaires, et, les ayant adoptées, il reçut, le 4 novembre, l’abdication de Christian-Frédéric, à la place duquel il élut roi de Norvège le roi de Suède Charles XIII. Royalement, Bernadotte, Charles-Jean, à partir de ce jour prince héritier de Suède et de Norvège, déclara devant le Storthing que l’union était faite, et qu’elle avait pour base l’élection « spontanée et unanime » du peuple norvégien, et non les traités conclus antérieurement et auxquels les Norvégiens n’avaient pris aucune part.

C’est ce que répéta constitutionnellement, et presque plus que constitutionnellement, le Rigsakt du 6 août 1815 : Il avait pour objet, disait-on, d’organiser cette union fondée « non par les armes, mais par une libre conviction ; » et c’est aussi ce qu’auraient confirmé, d’après les Norvégiens, et le Roi dans son message aux États de Suède, et les États de Suède eux-mêmes dans leur réponse au message. Au fond, la Suède était peu enthousiaste, et le Rigsakt, tel qu’il restait, ne la comblait pas de joie, si le mot est vrai qu’on prête au vieux roi Charles XIII : « C’est une union à faire pleurer[1] ! » Il semble donc que la Norvège eût du avoir satisfaction : l’amour-propre, l’orgueil national, le point d’honneur étaient saufs. Mais le point d’honneur n’est pas tout, même pour les peuples qui y sont le plus jalousement attentifs : et tout le Rigsakt n’était pas dans cette déclaration de principes ; venaient ensuite les dispositions formelles. « La Norvège est un royaume libre, indépendant, indivisible et inaliénable, uni à la Suède sous un même roi (article 1er). — Si la

  1. Un des auteurs de la Constitution suédoise, Hans-Järta, n’était pas éloigné de penser de même. Il écrivait en 1827 à Platen : « L’union, telle qu'elle est, ne vaut rien ; il serait plus utile pour la Suède d’en être débarrassée. » Voyez Raoul Pillons, l’Union scandinave, critique historique et politique ; 1899, Larose.