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mes affections ; et comme à cause de ma position dans le monde, de mes voyages, de quelque ombre de talent, et d’un extérieur qui était mieux alors, on m’a vu dans des rapports extraordinaires avec quelques femmes à Paris ou ailleurs, on a supposé ce qui n’était pas, ce qui ne pouvait être dans l’état où était mon cœur depuis longtemps. Je ne doute pas que Mlle C… ne continue à me desservir dans votre esprit et je crains qu’elle ne le fasse aussi dans l’esprit de Mme de la Pierre. Me permettez-vous de l’aborder franchement et de lui dire (à Mlle C.) que je me suis aperçu que vous m’avez laissé entrevoir qu’elle vous avait donné des préventions injustes contre moi, etc. Répondez-moi demain là-dessus par M. P… J’irai le voir à trois heures.

Je n’ai pas le temps d’écrire plus au long. Je pars pour Chambéry ce soir jusqu’à demain matin. Songez aux moyens quelconques de faire prendre mes lettres à poste restante à Chambéry et à Turin quand vous y serez.

V… à qui j’ai dit quelques mots n’a pas pu ou pas voulu m’en fournir aucun moyen : il ignore du reste tous les détails passés entre nous. Soyez tranquille absolument là-dessus. J’ai déjà reçu une lettre de ma mère qui me parle de vous d’une manière charmante, je lui ai écrit aussi ; ainsi, le plus vite possible, donnez-moi le plus de détails que vous pourrez sur vos circonstances en tous genres, parce que je ne pourrai faire demander à madame votre mère par mes parens qu’après leur avoir fourni mille et mille renseignemens de Londres. Je ne veux les recevoir que de vous, indiquez-moi à qui je pourrai les demander. Je n’ai pas besoin de vous répéter que ce n’est pas pour moi, puisque vous avez vu que je me suis engagé personnellement à jamais, sans connaître de vous que vous seule. Tout le reste m’est égal à moi pourvu que vous soyez bien et heureuse ; je le serai toujours assez de vous posséder pour toujours. Et quelle que soit votre fortune, il faudra que les renseignemens que nous ferons venir de Londres l’augmentent ou du moins l’enflent le plus possible aux yeux de quelques-uns de ces parens dont la mienne dépend. Je partirai samedi, je reviendrai dès que vous reviendrez de Turin. Ah ! fiez-vous-en là-dessus au bonheur que j’éprouve à vous voir, à vous entendre, à contempler ma félicité future dans vos yeux, à aimer avec tranquillité et confiance celle que je me sens destiné à aimer toute ma vie ! celle qui doit être dès à présent et qui sera toujours la meilleure partie de moi-même ! De ce moment donc je vous regarde comme à moi, je me considère comme à vous ! Songez-y ! et quelles que soient les absences, les silences forcés, les événemens, les contrariétés, dites-vous : il est à moi ! je suis à lui ! et attendons avec sécurité le moment qui ne pourra plus nous manquer.

Post-scriptum.


Mardi à 5 heures.

Je viens de chez M. P… Il n’y était pas. J’y retournerai plus tard et je n’irai pas à Chambéry aujourd’hui. Mais pour ne pas éveiller plus de soupçons sur notre intelligence, je n’irai pas non plus ce soir chez vous. Je rouvre donc ma lettre pour y ajouter quelques mots. J’en aurais tant à vous dire ! J’avais pensé à vous faire porter mes lettres par une femme de Chambéry,