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un plan de campagne à combiner. Et c’étaient, du côté de Lamartine du moins, des préventions à dissiper.


UN DRAME DANS UNE IDYLLE

Car il y a dans cette idylle un drame ; il y a dans ce drame un rôle de traître : il est tenu par l’une des filles de la marquise de la Pierre. A quel mobile obéissait Mlle Clémentine de la Pierre, en desservant Lamartine auprès de son amie ? Il serait de la dernière indiscrétion de le deviner. Mais, au surplus, nous n’avons garde de le regretter. Car cette opposition active et persistante donnera tout de suite à Lamartine l’occasion de traduire ses sentimens dans toute leur force et avec une éloquence vraiment passionnée. Les lettres qu’on va lire nous exposent tout ce roman de quelques jours fertile en émotions ; nous éviterons autant que possible de les interrompre par des commentaires.


17, mardi[1].

Je reçois cette lettre adorable, j’admire votre courage et votre générosité, je vais sans vous compromettre prier M. P…[2]de vous remettre ma réponse, je ne lui en dirai que ce qu’il faut pour l’intéresser et il se chargera, j’espère, encore pour demain de la même commission : vous pourrez en sûreté de conscience assurer que je ne vous ai rien remis.

Je vous répète et je vous jure avec une sincérité parfaite que je vous ai consacré pour la vie tout ce que j’ai dans l’âme d’amour, de tendresse, de dévouement, tout moi-même enfin ! que, du moment où vous avez accepté mes sentimens, ils sont et seront pour moi sacrés et invariables, comme si les nœuds les plus saints nous unissaient déjà ! que rien ne me fera jamais changer, et que je crois en honnête homme pouvoir vous rendre aussi heureuse (si l’attachement le plus constant vous suffit) que je serai heureux moi-même. Il est vrai que j’ai aimé une fois dans ma vie et que j’ai perdu par la mort l’objet de cet amour unique et constant ; depuis ce temps j’ai vécu dans la plus parfaite indifférence, jusqu’au moment où je vous ai connue, et je n’aimerai jamais ailleurs, si je suis assez heureux pour que votre cœur réponde au mien. Il est autant contre mon caractère que contre la nature de l’affection que j’éprouve de varier dans mes sentimens de ce genre, et je vous jure même que lors même que j’épouserais une personne que je n’aurais ni connue ni aimée avant, je lui resterais inviolablement et uniquement consacré. La personne qui me peint si mal et si injustement à vos yeux, dénature totalement mon caractère et ma vie ; le contraire de ce qu’elle vous peint est et a été la vérité. Cependant je ne l’accuse point. Elle a pu être trompée elle-même par d’autres personnes aussi peu instruites de

  1. A Mademoiselle Birch.
  2. M. Perret.